Le Cotentin ou la Fin du Monde

On pense souvent que le bout du monde, en France, se situe en Bretagne à la pointe du Raz. Ceux qui disent ça n’ont jamais vu le Cotentin. 

On parvient à ce bout du monde sur des routes tortueuses et étroites, entre des champs de choux et d’autres de poireaux, en suivant à petite vitesse des tracteurs énormes traînant des tombereaux de carottes et lâchant en continu des crottes de boue. Et dans ce pays, en cette saison, les tracteurs sont presque plus nombreux que les voitures.

Ces routes traversent, çà et là, des hameaux de pierre grise qui s’obstinent à se baptiser de ville quand ils ne sont que quelques maisons agglutinées entre les calvaires, les églises et les cimetières.

Ce paysage s’inscrit sous un ciel immense où il fait beau entre deux averses portées par d’incessantes bourrasques d’un vent obstiné et souvent furieux. 

Les petits ports qui s’incrustent dans la côte semblent figés dans un autre temps, presque surpris de voir passer des touristes. Ils abritent une multitude de petits bateaux, leurs quais bordés de chalutiers, seules taches de couleur entre la houle et le granit. Les petits bateaux vont jusqu’à se nicher dans les jardins, orner les carrefours où ils se décolorent au fil du temps comme d’antiques dinosaures.

Saint Vaast la Hougue (on dit sinvalahoug) et Barfleur sont repliés sur eux-mêmes, avec l’air de se protéger de l’océan, bordant leur rade en brandissant leurs clochers gris, leurs chapelles dédiés aux marins disparus en mer, et leurs phares.

Les commerces y sont rares, nostalgiques, anachroniques. Même les marchands de poisson sont à l’étroit, souvent fermés.

La pluie et les nuages ont pourtant des vertus car ils font que la nature est vert profond, luxuriante et pleine de vie. Il n’est pas de pré sans vaches ou chevaux paissant dans l’herbe généreuse. Des nuées de hérons, de mouettes, de cormorans, de corbeaux ou de passereaux jaillissent des bosquets, des marres et des rochers à marée basse. Le ciel est un spectacle permanent, le moindre rayon de soleil perçant des nuages torturé par le vent, transforme le ciel en tableau romantique.

Tout au nord, Cherbourg n’existe que pour la mer, la ville n’est là que parce qu’on en part pour des horizons lointains. On se souvient que Jacques Demy, pour pouvoir y tourner les Parapluies de Cherbourg, avait exigé de repeindre les façades en couleurs vives, c’est dire à quel point la ville était gaie. On y va pour la Cité de la Mer, un lieu exceptionnel où l’on visite un ancien sous-marin nucléaire, un immense aquarium spectaculaire et un mémorial du Titanic. 

Toute la côte orientale est bordée par les vestiges du Débarquement, d’interminables plages de sable larges à l’infini à marée basse, bordées par une nature constellée de blockhaus et ravinée par la fureur de la canonnade, des musées ornés de tanks, de drapeaux et de stèles, de cimetières aux croix blanches. Là aussi, le temps s’est immobilisé. Le balnéaire doit coexister en permanence avec les souvenirs de la guerre.

On se vante, ici, d’une délinquance inexistante et d’une absence quasi-totale des problèmes qui grèvent les autres régions de France. Il faut dire qu’après les Vikings, les derniers étrangers à avoir investi la région furent les Américains, les Anglais et les Canadiens. Le Cotentin vous a un petit air de Jersey et Guernesey qui n’incite pas au gauchisme.

Tout au sud, Caen et Bayeux offrent des ambiances très différentes. Les deux villes s’ancrent beaucoup plus dans l’héritage médiéval et la conquête de l’Angleterre par Guillaume le conquérant. Caen fut presque rasée par les alliés à la fin de la seconde guerre mondiale, le château (immense) et les grandes églises s’inscrivent dans une cité entièrement reconstruite. Bayeux fut épargnée et offre le visage d’une cité médiévale aux rues étroites et contournées traversant un petit cours d’eau aux airs d’un autre temps.

CAEN

BAYEUX

Cette région semble avoir échappé au modernisme et à ses inconvénients tels que les banlieues interminables et verrues du commerce de masse, ce qui lui confère, paradoxalement une certaine modernité que l’on qualifierait volontiers d’écolo-néo-rétro.

Quand on s’éloigne du Cotentin, on a l’impression de quitter un monde figé dans un autre temps, confit dans des souvenirs qui apparaissent comme des tableaux d’époques révolues. Et l’on regrette un peu ce détour avec un autre monde.

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