Réflexions sur le monde numérique et l’I.A.

Ces derniers temps, de jeunes Vietnamiens ont débarqué dans ma vie, armés de leurs mémoires de master que j’ai entrepris de corriger et enrichir de mes réflexions. Cela a bien entendu titillé mon esprit critique, surtout quand il s’est agi de porter ma réflexion sur le monde numérique qui change notre vie pour le meilleur et pour le pire.

Et voilà t’y pas que l’Institut Francophone International (IFI) de l’Université Nationale du Vietnam à Hanoï (UNVH) m’invite à participer à une conférence internationale sur ce même thème…

Voilà une proposition que je ne saurais refuser …

donc, m’y voilà …

LE PARADOXE NUMÉRIQUE

JE VOUS PARLE D’UN TEMPS …

Je vous parle d’un temps que les milléniaux ne peuvent pas connaître, ni même ceux qui sont nés en 1980. Un monde où le numérique n’existait pas, où les ordinateurs occupaient des immeubles entiers et ne servaient qu’à faire des calculs indignes du plus rudimentaire des smartphones.

Je vous parle d’un temps où l’on allait chez le voisin ou au café du coin pour téléphoner et où l’on devait attendre des années pour obtenir une ligne. Je vous parle d’un temps où l’on était invité chez des amis pour une soirée télévision qui se résumait à regarder, sur l’unique chaîne d’état, ne diffusant que de 17h à minuit, une émission de variétés sur un énorme poste doté d’un écran noir et blanc minuscule ressemblant à un hublot. Au quotidien, on écoutait une des trois ou quatre stations de radio sur des postes crachotants qui diffusaient des jeux et des « films radiophoniques ».

On écoutait la musique sur des « électrophones » dont les qualités sonores étaient très approximatives. On avait le droit de lire des livres de poche qui permettaient, à un prix modique, d’accéder au monde de l’écrit. Le livre de poche fut aussi révolutionnaire que l’imprimerie pour rendre l’écrit accessible.

Je vous parle d’un temps où l’on s’envoyait des « pneus », c’est-à-dire des messages écris sur de papier pelure et enfermés dans des conteneurs cylindriques qui partaient dans des tuyaux à air comprimé à travers Paris. Les ancêtres du SMS.

Si l’on attendait quelqu’un, rien ne disait quand il arriverait, surtout si, comme certains de nos amis, il n’était pas ponctuel, pas du tout. A quoi servait il de téléphoner quand la plupart des gens n’avaient pas le téléphone.

Et pourtant, malgré le sentiment que tout n’était pas parfait, on se sentait bien mieux fournis en moyens de communication que nos grands-parents qui n’avaient aucune de ces merveilles.

La vie s’écoulait au rythme du courrier qui nous forçait à lire, à écrire et à attendre. Au rythme des journaux quotidiens qui avaient des éditions du matin et du soir. Le Monde, lui, paraissait à 15 heures. Pour les images, on allait au cinéma, ou on attendait le magazine hebdomadaire : Paris Match …

Ce monde au ralenti laissait espérer des progrès que l’on imaginait difficilement. A de rares exceptions, on ne sait imaginer ce qui n’existe pas. Dans 2001, le film le plus visionnaire, la micro-informatique n’existe pas et l’on se téléphone dans des cabines munies d’un écran permettant de voir son correspondant. Le film avait anticipé la technologie, mais pas même entrevu les effets du monde numérique.

LA FIN DE L’ESPACE TEMPS

Il est de peu d’intérêt de dresser la liste des changements qui se sont produits dans les cinquante dernières années.

On y verra la multiplication massive des médias, l’apparition de l’informatique personnelle, l’apparition d’internet, le développement de la téléphonie mobile, puis des smartphones, la dématérialisation des médias, l’accélération massive des transports, la mondialisation des économies et des communications.

Notre décennie se caractérise par la virtualisation de tout ce qui existait cinquante ans plus tôt. Une virtualisation des objets et des personnes qui n’existent plus que comme des avatars à l’intérieur des innombrables réseaux.

Bien sûr, tout s’est accéléré, les déplacements, les informations, les communications, les relations. Mais, en fait, il ne s’agit pas d’une accélération, mais d’une suppression pure et simple du temps, de la durée, de l’intervalle temporel.

Aux notions de délais, d’interlocution, de temps de réponse, d’attente, se substituent trois nouvelles notions : la simultanéité, l’instantanéité et l’ubiquité.

L’espace s’est considérablement réduit, du fait de l’accélération des moyens de transport, mais ce n’est pas l’essentiel. En fait, l’espace s’est virtualisé, l’ubiquité fait qu’on peut se trouver en plusieurs lieux à la fois. Certains hommes politiques ont même tendance à se servir de cette possibilité. En fait, l’espace réel et l’espace imaginaire s’interpénètrent. Le lieux où l’on se trouve physiquement n’a pratiquement plus aucune importance puisqu’on peut se virtualiser dans d’innombrables ailleurs et que l’on peut être en contact avec d’autres personnes qui sont également virtualisées. Une conférence internationale peut ainsi se dérouler sans que les participants soient présents physiquement dans le lieu virtuel et non localisé où elle se déroule.

Il en va de même pour le télétravail qui s’est développé de manière considérable à l’occasion de la pandémie de COVID. Or, ce télétravail est loin de réjouir unanimement ceux qui le pratiquent ou le subissent. Pourquoi donc ?

L’abolition du temps et de l’espace ne se fait pas de manière innocente. Elle a un effet direct sur la représentation que l’on a de soi-même en relation avec le reste du monde. Dans un premier réflexe, on se réjouit de l‘étendu de cette nouvelle liberté. On n’a plus à attendre, on n’a plus à se déplacer, on peut être dans mille lieux à la fois sans faire le moindre effort. Puis, très rapidement, on se rend compte que cette déréalisation commence par notre propre virtualisation. On est partout, mais on n’est plus. Beaucoup de gens qui sont exposés à ce phénomène finissent par beaucoup souffrir de leur perte de réalité.

Mais, qu’ont-ils donc perdu ?

Quand je me pose à Hanoï, ville que j’aime énormément, j’ai passé onze ou douze heures dans un avion, puis j’ai découvert les paysages au petit matin avant de sortir de l’aéroport et d’être frappé par les odeurs tropicales, la chaleur et les bruits du Vietnam. Ce n’est pas d’être dans l’image du Vietnam qui m’émeut, c’est de sentir la matérialité, la sensorialité du pays dans lequel je pose pied et où je serai pendant quelques semaines.

On a coutume de dire que ce qui compte quand on va quelque part, c’est le voyage. Ce voyage qui sert à construire le réel. Les passagers qui prenaient le transatlantique pour aller à New York parlent tous du moment de l’arrivée, au bout d’une semaine de traversée. L’avion a réduit cette expérience, mais il ne l’a pas abolie. Le monde virtuel, lui, la supprime complètement.

Il en va de même dans la rencontre amoureuse. Comme chacun sait, le meilleur moment, c’est l’attente. Au-delà du cliché, le monde numérique efface radicalement ce qui construit notre conscience d’être tout en nous offrant un univers aux innombrables possibilités. Une sorte d’équation perverse se dessine où l’ubiquité virtuelle multipliée par le sentiment de réalité physique sont inversement proportionnels. En d’autres termes, le ciel bleu du monde virtuel ne donne pas de coups de soleil.

Vous me direz peut-être que je suis encore un de ces nostalgiques du bon vieux temps que personne ne regrette tant il était cousu de défauts. Mais ce n’est pas cela. Le monde numérique est un progrès immense et si inattendu qu’on ne l’imaginait quasiment pas il y a vingt ans. Mais cette inflation des capacités numériques porte en elle de défauts et des dangers qui s’aggravent progressivement sans que beaucoup de monde ne s’en soucient.

LE DOUBLE BIND

Le double bind, plus ou moins bien traduit par double contrainte, est un phénomène pathogène découvert par les chercheurs en psychologie systémique de Palo Alto. Cela consiste à imposer à un sujet deux injonctions contradictoires qu’il ne peut résoudre. Ce qui, dans le pire des cas, le rend fou, d’autant plus qu’il n’a pas la possibilité de méta-communiquer, c’est-à-dire de récuser les injonctions dans leur ensemble.

C’est précisément ce que produit le monde numérique. Refuser, récuser le monde numérique se résume à se ranger dans le monde des gens inadaptés à la société moderne. C’est être vieux, rétrograde, incapable, réactionnaire, ennuyeux, sans compter d’autres noms d’oiseau. C’est aussi être inéluctablement handicapé dans toutes ses relations au monde : « Ah, t’as pas de compte Facebook ? …. »

Le contexte consiste en la promesse du paradis de l’ubiquité, de l’instantanéité, de la facilité incroyable d’accéder à tout et partout sans le moindre effort. Cette promesse s’enrichit de la possibilité de contacts infinis, illimités avec un nombre incalculable de gens et d’informations. Promesse de liberté, d’absence d’efforts et de contraintes. Qui peut refuser un tel paradis, quitte à renoncer à sa propre réalité ?

Mais cette promesse s’assortit d’un premier jeu d’injonctions qui obligent à se donner corps et âme au monde virtuel, d’y contribuer activement, de s’adapter à son évolution permanente, de gérer la masse croissante des informations, des stimuli et de la complexité croissante des interactions. On parle d’infobésité, de saturation médiatique. Contrairement au monde réel qui exerce un filtre de proximité, de relations limitées par le temps, l’espace, les capacités humaines, le monde virtuel ne filtre rien et assujettis l’individu au flux illimité d’un numérique. La promesse de facilité et de liberté se heurte à la sur sollicitation des individus. Il faut s’investir, participer, tout donner.

Le permis à point du «bon Chinois» | Télépro

Mais une autre injonction intervient, On est libre, on a accès à tout, toutes les relations sont facilitées, toutes les actions sont possibles, mais sous le regard du Grand Frère qui a la possibilité de tout voir, tout entendre puisqu’il est à la source de ce monde. La Chine va jusqu’au bout de ce principe avec le crédit social. Mais la Chine n’en fait que la caricature. Il est évident que les GAFAM nous connaissent bien mieux que nous nous connaissons nous-mêmes. Liberté peut-être, mais liberté conditionnelle qui nous expose autant aux excès commerciaux qui nous pistent dans chacun de nos clics, qu’à ceux du pouvoir qui nous épie avec plus ou moins de malveillance et qu’aux escrocs qui se goinfrent de notre confiance et de notre naïveté.

GAFAM – BigTech – The biggest companies in information technology

Le double bind est ainsi construit entre l’injonction de participer intensément au monde virtuel et celle de se plier au contrôle, à l’œil scrutateur de big brother. Tout ceci pour une promesse d’un monde idéal qui nous fait renoncer à notre réalité, à notre humanité.

L’exemple du télétravail est une illustration de cette situation où la liberté est doublement contrainte par la nécessité de sur participer et la liberté démentie par les éléments de contrôle qui scrutent cette participation, bien au-delà des relations réelles qui se produisent en général dans les entreprises.

Un double bind a pour conséquence de rendre fou un individu qui y est soumis pour préserver son mode de vie, son couple, sa situation. Mais dans le monde numérique, il ne s’agit plus d’un individu, mais d’une société tout entière.

Faut-il condamner le numérique à la lumière de notre analyse ? Ce serait une révolte de canuts. On ne peut plus imaginer un monde sans numérique. Les pays émergeants s’en sont encore mieux emparés que ceux, comme la France, qui se cramponnent à des traditions nostalgiques d’un passé disparu.

Non, il convient de prendre la mesure de la situation, de méta communiquer, c’est-à-dire de questionner la situation et ses contradictions et développer des solutions qui feront la part du réel et du virtuel. C’est pas gagné !

D’autant moins gagné quand on sait que le numérique ne s’en tiendra pas à ce qu’il est aujourd’hui, mais continue ra de faire toujours plus de la même chose, en dépit des inconvénients que cela engendre. Car on sait que dans les situations de double bind, la tendance est de faire toujours plus de ce qui provoque la contrainte au lieu de changer de paradigme.

Dans sa plus récente évolution, il s’agit de développer ce qu’on appelle l’intelligence artificielle, c’est-à-dire de s’emparer du savoir pour produire du savoir, de l’art, de la réflexion et de l’imagination, c’est-à-dire ce qui est le fondement de notre conscience humaine. Et dans le même temps que le numérique envahit ce pré carré de la conscience humaine, les humains s’acculturent, perdent leur sens critique et deviennent analphabètes. Il n’est que de lire et écouter ce qu’ils disent ou écrivent. Qu’aurait écrit Rousseau si on lui avait refilé une trottinette électrique pour ses promenades solitaires ?

Le numérique agit comme les vases communiquant, il faut en vider un pour remplir l’autre. Pour l’heure, c’est notre réalité, notre liberté et notre conscience qui sont vidées par le vase du virtuel.

Comme nous l’avons dit, la science-fiction peine à imaginer ce que seront les technologies du futur. Les vaisseaux de Jules Verne et de Méliès sont des canons parce que la technologie de leur temps en est aux canons, pour Tintin, le vaisseau est un V2 géant…

Mais elle met le doigt avec perspicacité sur l’évolution de la relation entre l’homme et la réalité dans le contexte du progrès. Dans 2001, il s’agit d’un ordinateur qui accuse l’homme de mettre en péril sa propre mission. Dans Matrix, l’homme n’est plus qu’une illusion cultivée par la machine. Dans Blade Runner, l’homme est en lutte contre des cyborgs qui sont plus humains que lui. Dans Soylent Green, l’homme se dévore lui-même. Dans Terminator, l’homme doit lutter contre son propre avenir.

Quand je vous disais que ce n’était pas gagné !

Ce texte n’a pas été écrit par Chat GPT.

LA COMMUNICATION DIGITALE : RÉSOUDRE LES PARADOXES D’UN NOUVEAU MONDE

Institut Francophone International (IFI) de l’Université Nationale du Vietnam à Hanoï (UNVH) 

Conférence Internationale : Rôle des systèmes intelligents multimédia dans la communication digitale

20 septembre 2023

L’apparition des nouveaux moyens de communication digitale a engendré un immense engouement associé à une terrible inquiétude. Cela s’accompagne d’une explosion des usages incontrôlés de ces moyens et un réflexe de censure, d’interdictions, de précautions. Les réseaux ouvrent la porte aux fake news, aux détournements, aux escroqueries qui ne sont pas seulement intellectuelles. Du fait de ces excès, la réaction ne se fait pas attendre : il va falloir limiter, réglementer, interdire, censurer. Chat GPT est la source des pires inquiétudes et demandes de limitation, voire d’interdiction. Les réseaux sociaux sont de plus en plus montrés du doigt pour être vecteurs de fausses nouvelles, de développement d’idées et de groupes incontrôlables, d’intrusions de plus en plus graves dans la vie privée des gens.

Tout ceci est vrai. Mais est-ce la bonne manière de regarder le problème ?

Tout au long de l’histoire humaine, des ruptures considérables se sont produites dans l’univers de la communication humaine.

Cela a commencé avec le langage qui a créé une rupture entre l’homme et l’animal. Beaucoup plus tard, l’écriture a suivi. Le développement de l’écriture et sa capacité de faire communiquer les hommes n’a pas tardé à engendrer le mythe de la Tour de Babel, un univers où tout le monde pouvait communiquer avec tout le monde. La Bible la fait s’effondrer car elle défie l’autorité divine …

Mais, en dépit de cette catastrophe, les langues se sont développées et ont servi à relier les hommes au travers d’alphabets simplifiés et de langues vernaculaires, telles que le latin, le grec, en occident. Ces langages alphabétiques parmettent aux hommes de se comprendre entre eux, contrairement aux hiéroglyphes et autres écritures symboliques destinées à être comprises seulement par les dieux et quelques initiés. En Asie, les idéogrammes permettent aux locuteurs de divers dialectes de se comprendre en les traçant au creux de leur main, unifiant d’innombrables peuples et communautés.

L’invention de l’imprimerie, au quinzième siècle, a permis un accès considérable à l’écrit, un développement rapide de la lecture. Pour être plus précis, il s’agit de l’invention des caractères métalliques mobiles imprimables sur du papier. Jusqu’alors, les livres étaient des objets rares et précieux conservés dans des armoires fortes dans les châteaux et les monastères. Le but originel de Gutenberg était de rendre la Bible en allemand accessible à tous. Mais l’Église et la noblesse ont surtout craint que des textes de toutes sortes puissent envahir le monde. La réaction ne s’est pas fait attendre : interdiction d’imprimer autre chose que des textes religieux, en latin et reconnus par l’Église. L’Imprimatur (autorisation d’imprimer) était nécessaire pour ne pas finir à l’Index (le catalogue des ouvrages interdits). Mais, cette invention « infernale » a permis le développement de la littérature moderne, le développement des sciences par l’impression des travaux des savants de la Renaissance, le développement de la politique par l’impression des libelles de toutes sortes. À la tradition orale ancrée dans le passé, l’imprimerie a ouvert les portes du futur. Le Chat GPT de la Renaissance !

L’invention de la radio, du cinéma et de la télévision a rendu possible l’information et la diffusion des images en direct. On a tout de suite craint que cette diffusion soit incontrôlée, mette en péril les romans nationaux. Le poids de l’État n’a pas tardé à s’imposer dans tous les pays du Monde. En France, le très libéral Général de Gaulle a imposé une censure de plomb sur les médias (une chaîne nationale, une radio nationale, un comité de censure : la Voix de la France). Mais au bout de quelques décennies, les radios libres et les chaînes TV privées se sont multipliées et ont fait souffler un vent de liberté et d’esprit critique sur le monde entier.

Le problème posé par la communication digitale n’est donc pas nouveau, il est simplement d’autant plus présent que ce nouvel environnement technologique est plus puissant et plus répandu. Il ne fait aucun doute que, comme toutes les innovations qui l’ont précédée, celle-ci s’établira progressivement comme une norme équilibrée, débarrassée des positions extrêmes qui l’ont accueillie.

Dans tous les cas, les réactions hostiles au développement de ces nouveaux moyens de communication sont liées à des codes appartenant au monde précédent. Tout comme les voitures modernes sont appréciées selon la mesure du cheval vapeur directement hérité de la puissance du cheval animal.

Il est connu que tout nouveau concept ne peut se concevoir que sur les bases du concept précédent. Les premières voitures n’étaient conçues que dans le contexte des voitures avec des chevaux. Il était, dans les premiers temps, obligatoire que la voiture soit précédée par quelqu’un qui annonçait son passage avec un drapeau. Jusqu’à une époque encore récente, l’avant des voitures était séparé de l’arrière en reproduisant la disposition des carrosses où le cocher demeurait dehors, à l’avant tandis que le maître était installé confortablement dedans, à l’arrière.

Aujourd’hui, le monde de l’automobile s’est débarrassé de cette filiation qui la rendait dépendante de normes obsolètes. Mais il est confronté aux voitures électriques qui font que ces voitures sont jugées d’après les codes des voitures thermiques, incapable encore de proposer leurs propres normes et leur propre esthétique. Cela est visible dans l’avant de ces véhicules qui se caractérise toujours par un vide plus ou moins gênant pour l’oeil, car le visage de la voiture semble privé de bouche.

Les nouveaux moyens de communication digitale sont encore jugés à l’aune de la communication traditionnelle. On les compare aux journaux écrits, on les juge d’après communication établie, structurée et sous contrôle et, ainsi, le paradoxe se développe :

  • Soit on peut dire, faire, créer n’importe quoi pour exprimer sa créativité, mais aussi des opinions et des informations plus ou moins fantaisistes à destination d’un public plus ou moins hors contrôle. C’est la doctrine ultra-libérale qui préconise que chacun soit libre de s’exprimer et de faire ses choix. C’est la doctrine du « TOUT IRA MIEUX DEMAIN »
  • Soit il faut réglementer, mettre sous contrôle, limiter, censurer, voire interdire ce moyen anarchique et subversif de communiquer qui a toutes les chances de ruiner l’ordre mondial. C’est la doctrine des conservateurs de droite, de gauche, protecteurs des valeurs établies et des usages en vigueur. C’est la doctrine du « C’ÉTAIT MIEUX AVANT ».

Ce paradoxe fait le miel des extrémistes, tant dans le sens de l’interdiction (retour à ce qui est connu et sous contrôle) ou de la promotion débridée (libéralisme absolu, hors contrôle).

On retrouve ce paradoxe dans un film comme Matrix qui repose sur l’hypothèse que les machines ont asservi l’humanité …

Or ce paradoxe n’existe que dans le contexte d’une vision fondée sur le passé, mais aussi d’une absence de code adapté édictant des règles consensuelles et communément admises pour ces systèmes nouveaux.

Un exemple saisissant concerne, en France, Chat GPT. Contrairement à un nombre considérable d’enseignants qui parlent d’interdire l’utilisation de Chat GPT, de confisquer les smartphones, de faire la police des textes écrits par les étudiants, certains enseignant recommandent tout simplement d’y avoir recours et de rebondir, critiquer, exploiter, enrichir ce que propose cette ressource. Ces expériences se sont montrées particulièrement prometteuses.

Un autre exemple frappant est l’accès au savoir des encyclopédies.

Wikipédia a, peu à peu remplacé nos encyclopédies en vingt volumes achetées pour toute une vie. Il fallait des décennies pour composer et éditer ces immenses ouvrages et personne ne s’inquiétait que leurs informations fussent souvent vieilles de plus de vingt ans. Wikipédia a changé radicalement de paradigme : cette encyclopédie numérique a engendré ses propres codes, ses propres filtres, ses propres moyens d’amélioration. Au savoir définitif scellé dans leurs pesants volumes, Wikipédia oppose un savoir en perpétuelle mise à jour, avouant souvent l’insuffisance des sources invoquées.

Il en va de même pour le sacro-saint dictionnaire que l’on conservait toute une vie et que Google a remplacé sans coup férir.

Les nouveaux moyens de communication digitale sont des systèmes d’autant plus puissants qu’ils sont dans leur propre enfance, en pleine croissance. Les laisser se développer de manière anarchique ou leur imposer la chape de plomb d’une censure austère ne pourra que les mener à des dérèglements néfastes. C’est comme avec nos enfants.

Je ne connais pas quelles sont les règles de ce nouveau système de communication et, donc, je ne me livrerai pas à des préconisations qui ne seraient que mon vieux regard sur un monde nouveau.

Mais, quand même, je recommanderai de considérer les caractères propres à cet univers, d’en identifier tous les aspects de compétence, c’est-à-dire tout ce qu’il est permis d’exprimer en se fondant sur lui et, in fine, d’identifier des règles et des contraintes qui en permettent le meilleur usage, ce qu’on appelle la performance.

En matière de langue, la compétence, c’est la capacité de production linguistique d’un individu, d’un groupe social. Leur performance est strictement limitée par cette compétence. Si l’on se borne à rejeter, mépriser, critiquer les nouveaux systèmes de communication digitale, on se condamne à ce que la compétence des utilisateurs s’appauvrisse. C’est aujourd’hui le cas d’une grande partie de la population dont le langage se réduit, se simplifie à l’extrême.

Il est donc nécessaire d’intégrer ces nouveaux systèmes dans les programmes d’enseignements, de les exploiter et de les utiliser pour enrichir la compétence de nos enfants plutôt que de l’appauvrir. Ce sera, à coup sûr bien préférable à l’attitude ambivalente, inquiète, hostile qui prévaut encore, tout autant qu’au laxisme libertaire qui en fait l’empire du n’importe quoi.

Tout comme l’invention de l’écriture, celle de l’imprimerie, puis de la radio et de la télévision, la révolution digitale et l’I.A. s’accompagnent d’errements et d’excès, mais, dans le même temps, elle engendre un monde nouveau où l’accès au savoir et à l’information se multiplie, s’accélère et s’approfondit dans des proportions inconnues jusqu’alors. Sans communication digitale, les connaissances croisées entre la philosophie et la physique quantique seraient encore difficilement accessibles et les progrès de la compréhension de l’univers quasi-impossibles. Les inconvénients liés à l’utilisation incontrôlée de la communication digitale seront tôt ou tard neutralisés, comme ils l’ont été lors des précédentes révolutions dans l’épistémologie de la communication, quand cette dernière sera devenue la norme dans les relations entre les hommes et le reste du monde.

L’histoire nous prouve que les catastrophes annoncées, tant par ceux qui qui remettent en question les ruptures épistémologiques de la communication, que par ceux qui promettent qu’elles vont annihiler l’ordre existant, ne se produisent jamais. Ces ruptures sont toujours absorbées et intégrées et le monde se contente d’aller mieux dans un ordre nouveau qui en exploite les nouvelles possibilités.

Cette conférence ne pourrait probablement pas se tenir (du moins aussi facilement) si nous ne disposions pas des moyens offerts par la communication digitale. C’est dire !

C’est compter aussi avec une spécificité vietnamienne que j’ai pu constater au fil des ans. Un pays, qui après s’être remis pendant des années des blessures des colonisations, des invasions et des guerres s’est éveillé complètement ouvert au nouveau monde. La jeunesse vietnamienne a soif d’apprendre, est curieuse de découvrir le monde et n’a aucun préjugé face à la nouvelle communication digitale qui semble être née avec elle. J’ai rencontré de nombreux jeunes Vietnamiens qui, sans renier les traditions de leur culture, sont activement impliqués dans le développement de la nouvelle communication digitale. Un avantage décisif pour l’avenir.

Et voilà.

Je vous remercie.

Et merci à Minh Ngoc, Cette jeune étudiante vietnamienne pleine d’enthousiasme qui m’a ouvert cette porte et tenu la main pendant mon intervention …

Mais, suis-je vraiment certain de ne pas être qu’une image artificielle dans son imagination au coeur de son intelligence …

Pour aller plus loin, je vous recommande de lire cet article :

LE SOLIPSISME : LA RÉALITÉ FANTÔME

Pour découvrir ce que je peux faire avec l’I.A., allez visiter mon musée personnel …

MUSEUM

LA PHOTO ET L’IMAGE

Une réflexion au sujet de « Réflexions sur le monde numérique et l’I.A. »

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