Le Solipsisme : La Réalité Fantôme

C’était en 1969, j’étais en « Philo ». Oui, la terminale littéraire s’appelait la classe de Philo, tandis que les matheux étaient en « Math Élem » (comme mathématiques élémentaires, très au delà de mes capacités).

Mon prof de philo (oui, on dit philo si on n’est pas un plouc qui sait rien), donc, mon prof de philo s’appelait Thiry, le frangin à celui qui avait tiré sur le Général au Petit Clamart. Une famille qui avait des idées !

Nous sommes en 1969, une année de gueule de bois après l’énorme fiesta de 68. Gainsbourg avait voulu tromper son monde avec une chanson sur 69, mais nous, ados boutonneux de 69, nous payions les pots cassés. Le bac, il faudrait vraiment le passer cette année là. 

Le cours de philo se passait essentiellement entre un prof plutôt anar de droite et deux élèves. Le premier avec son collier de barbe était communiste tendance « Staline avait raison » et un socialiste parfumé à la SFIO.

Moi, je rêvais de Napoléon, j’envahissais la Russie et, avec des copains de classes, nous passions le cours à dessiner. Autant dire que nos notes étaient faciles à dessiner !

J’obtins mon bac avec un 17 en littérature, largement dû à Isidore Isou, Des Esseintes et l’Oulipo à qui et à quoi mon oncle m’avait initié.

Pourtant, durant cette longue période d’ennui, le dos tourné au soleil de la caverne, plongé dans la raison pure avec le Dasein comme comparse, et abreuvé du rôle de Hegel dans le développement du marxisme, je fus soudain enthousiasmé, ébaubi, transporté, séduit et confondu par une des théories les plus délirantes de la philosophie : le solipsisme.

N’allez pas croire que le solipsisme soit une étoile filante comme il en fut au cours des millénaires de la spéculation intellectuelle.  On le trouve partout !

Héraclite, Platon, Descartes, Kant, Fichte, Hegel, Berkeley, Russel, Sartres, Wittgenstein, Hawkins et même le bouddhisme. Tous en ont parlé, s’en sont emparés, ont disserté sur le solipsisme même quand cela ne s’appelait pas solipsisme.

Héraclite

Bon, bah alors, c’est quoi ?

Le solipsisme se résume à l’idée très simple que la réalité n’est rien d’autre que ce que nous en percevons. C ‘est à dire que la réalité n’est rien d’autre qu’une construction, une représentation, un fantôme de mon imagination. 

Thiry, le prof de philo, s’était bien amusé à nous mettre au défi de prouver que nous n’étions pas des fantômes de son imagination. Le marxiste et le socialiste de service, nourris aux tétines du matérialisme historiques se ruèrent su l’appât. De toute mon année de philo, je ne m’étais jamais tant amusé. Le prof de philo qui, de temps en temps, quand nous étions trop peu, nous faisait cour dans le bistrot proche du lycée, n’était pas un de ces profs dogmatiques cramponnés au programme et aux bonnes manières. C’était un vrai penseur à l’indépendance que je ne sus apprécier que plus tard. Ce jour les deux doctrinaires mordirent cruellement la poussière. Heureusement que Béria n’était plus !

Jouant avec le nom d’un des solipsistes les plus distingués, le prof concluait ses explications par un « Fichte ! » rigolard. (Fichte, un philosophe pas drôle du tout).

Johann Gottlieb Fichte

Le solipsisme est une théorie de l’indémontrable. Si beaucoup de philosophes en parlent, c’est souvent pour s’en défausser, pour la critiquer, la rejeter. Bien sûr. Mais la critique se fait presque toujours en opposant la subjectivité, le doute, l’inconnaissable à la rigueur de la science et l’évidence du monde réel et observable. Mais cette opposition ne résout pas du tout le problème. 

En opposant une réalité subjective que je suis seul à connaître et percevoir à une réalité objective qui représente l’expérience commune et la science, je ne réponds pas à la question de prouver que tout l’ensemble n’est qu’une projection de mon imagination. 

Le bouddhisme fait ses choux gras de ce subjectivisme absolu pour justifier la réincarnation comme l’enchassement de rêves constituant le cycle des vies, chacune étant le rêve de la précédente, y puisant les raisons d’un meilleur ou d’un pire destin. Freud n’est pas si loin. Du coup, le réel compte peu et on devient fakir.

Le film Matrix (le premier) est un exemple très intéressant de solipsisme inscrit dans un imaginaire scientifique. Il pose une vraie question (quant à cette théorie) : si tout est une représentation de mon imagination, alors, qui suis-je : suis-je réel ou suis-je le rêve d’une machine entièrement gouverné par une construction imaginaire d’un monde destiné à servir un projet obscur.

Héraclite, le plus intéressant, parce que le plus ancien, fait une remarque intéressante : l’homme éveillé n’a qu’un monde tandis que l’homme endormi en a autant que de ses rêves.

Et bien entendu, ce fer fut battu par bien des philosophes à travers les âges pour distinguer un monde d’expériences communes, donc tangibles, partagées et un monde idéal (pas forcément) qui n’appartient qu’à ma propre subjectivité. 

Et puis, on opposera ce qui peut être prouvé et ce qui ne le peut pas, toujours pour dresser une barrière contre l’hypothèse initiale du solipsisme. Et puis on essaiera de dresser la barrière de la transcendance, de ce qui ne peut pas être en moi, mais qui existe pourtant. Mais cela non plus ne brise pas l’hypothèse.

Le solipsisme, comme me l’avait raconté mon prof de philo, résiste à toutes les objections, ce qui en fait un piège philosophique majeur. Pas étonnant que tout le monde s’y soit colleté. 

Qu’est-ce qui distingue le rêve de la réalité selon le principe du solipsisme ? Le rêve se termine en général dans un lit, la réalité solipsiste se termine dans la tombe.

Pas sûr !!!

S’il existe une dimension perverse, c’est bien le temps. L’espace, ce sont les trois dimensions dans lesquelles je me meus et que je perçois avec mes sens. Le temps c’est une dimension que je ne peux pas percevoir, qui se déroule selon un flèche unique sur une ligne unique et qui, pourtant, est sujette aux déplacements dans l’espace et à ma subjectivité, même dans mes rêves. 

Le temps est limité par deux singularités, mon endormissement et mon réveil (ma naissance et ma mort, si vous préférez).  A l’intérieur de cela, tout ce qui s’est passé disparaît, tout ce qui va advenir n’est pas apparu et tout ce qui se passe est insaisissable. Ça c’est le fameux débat entre Héraclite et Démocrite. 

Mais ce que l’on sait que l’on ne sait pas, c’est à quoi ressemblerait un monde où le temps est aussi perceptible que l’espace, où la seconde loi de la thermodynamique est réversible (tout tend vers l’entropie : de l’ordre vers le désordre, de la tasse entière à la tasse cassée).

Beaucoup d’hypothèses cosmologiques d’une rigueur scientifique sans faille nous inscrivent dans un monde au nombre infini de dimensions repliées sur elles-mêmes où nous ne jouions que le rôle d’une exception étrangère à nos sens. ça donne le vertige et on se sent peu de chose dans le grand livre de l’univers dont nous n’occuperions que la dernière ligne.

Voilà-t’y pas qu’on vient de découvrir que le temps n’est pas une dimension unique et, qu’après le big bang, deux lignes de temps se sont développées, l’inverse l’une de l’autre. Existe-t‘il un monde où les effets précèdent les causes, où les tasses cassées remontent sur le guéridon de ma tante ?

Ils disent que c’est le temps … (source Science et Vie)

Ce ne sont pas les philosophes qui font avancer le schmilblick,  ce sont les physiciens comme Stephen Hawking qui, partant de leurs recherches strictement théoriques et mathématiques, valident ces dernières par l’observation mesurable et, in fine, se déterminent philosophes. 

Stephen Hawking

Or, contrairement à ce que tout raisonnement raisonnablement raisonnable laisserait supposer,  ces chercheurs qui font exploser les rêves les plus fous, décrivent un monde qui défie toute forme de logique empirique, ces chercheurs nous emmènent tous sur une route où la subjectivité du sujet influe sur la réalité observable. 

Ces chercheurs, qui ne sont pas fous du tout, nous expliquent que la réalité pourrait bien être un fantôme de notre imagination. 

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