Je n’ai jamais lu la Bible. Mon athéisme, né un jour de messe, lorsque j’avais six ans, où je ne vis rien du tout alors qu’on me demandait de baisser la tête pour que le Saint Esprit passe me visiter, m’interdisait d’ouvrir ce bouquin très suspect à mes yeux.
Plus tard, j’ai eu l’occasion d’en entendre de nombreuses lectures en assistant à des cérémonies religieuses de divers cultes se disant « du Livre. Je n’ai vraiment pas aimé ce discours qui nous propose de nous aimer les uns les autres et de massacrer tous ceux qui ne sont pas d’accord. Une accumulation de guerres, de vengeances et de punitions. Dieu est bon, mais pas avec ceux qui ne pensent pas comme ses prêtres.
Puis j’ai plongé mon nez dans divers ouvrages historiques, ethnographiques et archéologiques parce qu’on s’intéresse toujours à ce qu’on n’aime pas. Et je n’ai pas été déçu.
QUAND A-T’ELLE ETE ECRITE ?
Il existe, dans les travaux de croyants, plein d’affirmations selon lesquelles la Bible aurait commencé d’être écrite en 1450 avant Jésus Christ. C’est bien, c’est raccord avec les histoires que le livre raconte, même si cela nous met Abraham aux alentours de moins 3000 avant Jésus Christ.
Oui, mais les recherches vraiment historiques concluent qu’elle a été écrite entre le VIIIème et le IIIème siècle avant Jésus Christ, les plus anciens sont des fragments (Manuscrits de la Mer Morte) qui ne disent pas précisément ce qui est imprimé aujourd’hui. Ce qui fait que les auteurs ont attendu près de cinq siècles avant de raconter l’histoire de Moïse. Or, en ce temps là, je vous le dis, les bibliothèques étaient rares et Internet n’était pas encore accessible. Autant dire que la rigueur historique n’était pas garantie.

Il est désormais admis qu’une très grande partie de la Bible est l’adaptation de textes et de mythes zoroastriens, babyloniens et helléniques. En d’autres termes, la majeure partie de la Bible est une grande œuvre de recyclage. « Horreur ! » direz-vous, mais en fait, il s’agit en ce temps là de pratiques très répandues. La propriété intellectuelle n’était pas encore de mise.
La Bible, c’est un patchwork de textes assemblés au fil des siècles pour établir le vraisemblable de l’histoire et de la religion. Les Évangiles ne feront pas mieux.
MAIS POURQUOI LA BIBLE ?
La Bible est le texte fondateur des religions monothéistes qui existent aujourd’hui. Sans Livre, pas de religion. Pas de Christianisme sans Évangiles, pas d’Islam sans Coran, pas de Protestantisme sans les 95 thèses, etc.
La Bible, c’est ce qui ancre la croyance dans un récit historique. Partant, et cela est vrai pour toutes les religions, le texte plie l’histoire aux nécessités du propos.
Plus forts que la Bible, les Évangiles sont une sélection plus que tendancieuse de quatre textes parmi trois cents autres (dit-on).
Quand on fait remarquer que la Genèse est d’une valeur historique contestable, on se voit opposer deux réponses :
- C’est un texte métaphorique (donc on y trouve ce que l’on veut)
- C’est la vérité que la science maudite veut spolier (votez Donald Trump !)
La Bible a récupéré des mythes venus de partout pour les organiser en forme de religion. Gilgamesh devient Noé et le Judaïsme se trouve un sens écologique.

Les Romains ont aussi recyclé la mythologie grecque à leur profit. Mais ils étaient polythéistes, c’est à dire qu’ils avaient la possibilité intellectuelle d’agréger d’autres mythologies sans se formaliser.
Mais le monothéisme n’est pas de cette eau là : il n’y a qu’un seul dieu, donc c’est le nôtre (sinon il y en aurait plusieurs).
La Bible organise la « Vérité » à travers de sa réécriture de mythes compilés et reliés par un fil unificateur : le livre lui-même. La Bible, c’est le fondement de la religion du Livre.
Sans Bible, pas de Judaïsme.
Cela nous amène à une question fondamentale : puisque la Bible date au mieux du VIIIème siècle avant JC, qu’en est-il de la religion juive avant cela ? Je reformule : Moïse était-il juif ?
Mais puisqu’on vous dit que ce sont des métaphores !
MOÏSE ET L’EXODE
Posons d’abord quelques références historiques :

- Tout cela se passe aux alentours de 1350 – 1250 avant JC.
- C’est l’époque d’Akhenaton et de Ramsès II
- La zone couvrant la Palestine, le Sinaï, la Syrie et la péninsule arabique est un véritable melting-pot où circulent des Bédouins, des Assyriens, des Hittites, des Babyloniens, des Zoroastriens, des Égyptiens, des Grecs (Achéens), enfin plein de monde
- Aucune catastrophe climatique, tellurique, épidémique n’est à signaler
- Les Égyptiens pratiquent l’esclavage, mais avec répugnance, avec les vaincus de leurs guerres et les peuples du Sud (Nubiens). On ne voit pas pourquoi ils auraient fait venir les Hébreux
- Si les sept plaies d’Egypte étaient survenues, si un pharaon et toute son armée avaient été engloutis dans la mer Rouge qui s’était ouverte pour laisser passer Moïse et les siens qui n’avaient même pas été mouillés, les Égyptiens en auraient parlé. Or ils n’ont pas gravé une seule pierre, écrit sur un seul papyrus à ce sujet. Pourtant ils ont beaucoup écrit sur la bataille de Qadesh qui eut lieu à la même époque, dans les mêmes parages.
- On ne construit plus de pyramides et les pyramides elles-mêmes furent bâties par des ouvriers qualifiés et fort bien traités. À cette époque, on construit Pi Ramsès dans le delta du Nil. Si les hébreux avaient dû fuir, on ne voit pas pourquoi ils auraient dû traverser la Mer Rouge, bien au Sud.
- Aucun autre texte ne fait allusion à ces événements : ni les textes égyptiens (premiers concernés), ni cunéiformes (l’autre civilisation opposée aux Égyptiens), ni chez le premier historien connu, Hérodote.

Tous ces faits, aujourd’hui établis, posent une question très simple : pourquoi de tels événements n’apparaissent-ils que dans la Bible écrite au mieux cinq siècles plus tard ?
Moïse est un mythe qui réorganise une autre réalité pour lui faire servir un propos religieux. Cela n’exclut pas catégoriquement Moïse, mais en fait nécessairement quelqu’un d’autre.
Tout cela me fait penser au Saint Esprit de mon enfance.
LE MYTHE REVISITÉ
À force de m’interroger sur cette époque incroyablement lointaine, une époque où les mythes ont la même force que l’histoire et l’archéologie, je me suis façonné une théorie qui remet en ordre ma vision des choses. Il est très probable qu’elle ne résistera pas forcément à une véritable investigation scientifique, même si je reprends à mon compte quelques articles récents. Mais la théorie biblique n’a pas beaucoup plus de preuves pour sa fiction religieuse qui me semble, de plus, beaucoup plus coûteuse en événements et contraintes de vraisemblance.

Que se passe-t’il à cette époque dans cette région ?
- L’épisode monothéiste d’Akhenaton ne peut pas avoir simplement surgi et disparu. Il est très probable qu’un mouvement plus ample et au cycle plus lent se trouve représenté par Akhenaton. L’esthétique très divergente et l’éradication des signes de ce règne laissent entrevoir un schisme profond d’une durée plus importante que celle de ce pharaon. Son monothéisme est un indice de sa capacité à durer. Les monothéismes ont la vie particulièrement dure.
- A la même époque, l’espace Palestine, Assyrie, Babylone est en grande crise et en conflit ouvert avec l’Égypte. Ce territoire est fortement tenu par les Hittites, mais, culturellement, il est complètement anarchique. Néanmoins, les tendances religieuses sémitiques y ont fortement cours. On y adore le taureau …
- Ramsès est en guerre ouverte et permanente avec les Hittites. Les conflits entre l’Egypte et les Hittites se soldent par des batailles et des victoires indécises amenant à des compromis et des représentations très tendancieuses. Chaque parti doit cultiver sa gloire, masquer ses faiblesses.
- Les Hébreux n’existent que dans la Bible. Au mieux, c’est une peuplade parmi d’autres. S’il en est en Égypte, c’est un tout petit nombre et probablement pas des esclaves. On se souviendra que Moïse est pote avec Ramsès, pas vraiment un esclave persécuté.
Deux phénomènes peuvent s’être produits à ce moment là :
- L’émigration d’un groupe plus ou moins important des rescapés du mouvement solaire/monothéiste vers la région où le pharaon aura le moins d’influence possible, probablement menés par un leader charismatique.
- La confrontation entre ce groupe de monothéistes et des tribus très divisées, polythéistes, adoratrice du taureau sacré, culturellement fascinées par l’or et la richesse.
La rencontre entre ces deux phénomènes ne peut qu’être explosive. Le monothéisme peut y jouer de sa cohérence et de son fanatisme. N’oublions pas que les polythéismes sont agrégatifs tandis que les monothéismes sont exclusifs.

Mais au moment où les deux ensembles se rencontrent, ils ne peuvent que se fondre et s’interpénétrer. Les différentes cultures, venues d’Egypte (monothéisme solaire) et venues de la région d’installation (mythes zoroastro-babyloniens) commencent à se fondre.
On parle mille langues, le mythe de Babel y pourvoit. Les dix commandements viennent de la montagne, du feu solaire, ils unifient l’ordre de la croyance et de la morale. Au début était le verbe, mais on ne peut prononcer le nom de Dieu. Un trait de génie dans l’anarchie tribale de ce monde.
Tous les épisodes de la Bible ont une fonction parfaitement identifiable :
- L’affaire du veau d’or règle leur compte aux mythes babyloniens
- Les dix commandements font le lien entre Dieu et la loi des hommes. Dieu est solaire, il met le feu aux buissons
- Noé, récupéré de Babylone, permet d’énoncer des enjeux écologiques pour le projet humain dans le monde
- La Genèse place l’homme face à Dieu. Si Dieu a créé l’homme a son image, l’inverse est tout aussi vrai
- Jéricho nous explique la supériorité d’un dieu unique sur la multitude des polythéismes
Tout est faux, mais tout a un sens.
Et Moïse dans cette histoire ? Le mythe nous dit qu’il a survécu à un holocauste. On nous dit aussi qu’il est devenu l’alter ego du pharaon sans en avoir le rang. Rien ne prouve son existence ni, surtout qu’il fut hébreu. S’il a existé un meneur pour le fameux Exode, il ne peut s’agir que d’un leader religieux doué d’un indiscutable charisme ou rôle idéologique.
On le fait disparaître sur le seuil du pays de Canaan parce qu’il n’est pas bienséant qu’un dignitaire égyptien, fut-il déchu, en rupture, soit le chef d’un peuple qui compte beaucoup d’ennemis de l’Egypte. Et puis, à son âge, 122 ans, il arrive qu’on passe l’arme à gauche.
Sans Moïse, l’histoire ne fonctionne pas plus que le Christianisme sans Jésus, l’Islam sans Mahomet. Mais le personnage demeure complètement hypothétique, ce qui n’exclut pas qu’il ait existé. Mais probablement selon des modalités très différentes de la fiction présentée par la Bible. Le personnage fondateur du Judaïsme ne peut pas être autre qu’un Juif, paradoxe inexpugnable.
Il n’y a pas de génération spontanée. Les Juifs ne sont pas un peuple né spontanément dans le vide d’une planète sans humains. Les Juifs sont la rencontre de plusieurs cultures, dont certaines très opposées entre elles, que leur monothéisme a aidé à unifier.
Alors que la question de Moïse est essentielle, l’histoire s’intéresse avant tout à la traversée de la mer Rouge. Or il existe nombre de possibilités pour ce passage : la traversée de la mer des roseaux au nord de la mer Rouge (fastoche), le passage d’un ban de sable au bord de la Méditerranée (Why not ?), un tsunami (Banzaï), rien du tout (pourquoi pas, mais il n’y a pas de fumée sans feu). Rappelons nous que la traversée de la mer Rouge n’est pas un événement neutre : c’est un franchissement et c’est le lieu de la destruction de l’origine égyptienne du peuple de l’Exode.
ET DONC JE VOUS LE DIS …
Ainsi se constitue un monothéisme qui unifie une grande diversité. Cela commence par le lieu où se cristallise symboliquement ce concept de judaïsme, puis la rédaction d’un Livre qui unifie un ensemble de mythologies venues de partout, sans le moindre égard pour la réalité historique, mais avec un souci formidable de donner des leçons d’humanité, de société, de morale. Une cohérence du mythe si profonde qu’elle se transmet dans la diaspora, le développement des Juifs à travers le monde.
Mon athéisme me souffle à l’oreille que tout est faux dans la Bible. Et pourtant il n’existe pas de livre dont l’influence ait été aussi fondamentale. Cette influence tient au caractère universel des enseignements que sa rédaction, pourtant sanguinaire et vindicative, met en ordre au service de la culture de nombre de peuples. Même le marxisme, parfaitement athée, s’est inspiré des principes bibliques en les renommant et en les réorientant.
Les religions asiatiques, Confucianisme, Zen, Bouddhisme, Shinto, remplissent les mêmes fonctions avec une efficacité similaire. De fait, il s’agit de mettre en scène les principes qui fondent la survie des sociétés, des cultures et de la survie de l’humanité.
Moïse, Jésus, Mahomet, Zoroastre, Bouddha, sont tous, selon des modalités diverses, des humains qui se sont fait interface entre le divin et l’homme. Leur humanité est indispensable, essentielle, fondamentale. Sans cette humanité, Dieu reste transcendant, donc détaché de l’homme. La Bible est un texte, donc elle est humaine, elle est la trace de l’action d’écrire qui est le fait d’un homme.
Rien de tout cela ne renverse mon athéisme car cela ne renverse pas le principe que l’homme a créé Dieu à son image et que la Bible reflète aussi dans sa rédaction le goût de la vengeance, de la punition et de l’intolérance qui anime les humains.
Il n’empêche que, par son existence et sa pérennité, elle permet de donner une cohérence à toutes les cultures qui s’y réfèrent. Même pour un mécréant de mon espèce qui ne l’a même pas lue, n’a guère envie de la lire et qui doute par principe de tout ce qu’elle raconte, elle constitue, en elle-même, une ancre de la civilisation.