Vacanze Romane

Nous avions décidé de fêter dignement nos 45 ans de mariage. Toutes sortes de destinations s’offraient à nous : pas trop loin, pas trop chères, pas trop froides, pas trop chaudes, mais riches en tout. Notre choix s’est fait pour Rome que nous avions visité plus de quarante ans plus tôt et dont nous voulions connaître mieux l’âme et les mystères. 

Ce fut un planning rigoureux, inspiré par de nombreux guides, des recommandations de l’intelligence artificielle, nos souvenirs et quelques Spritz.

Une visite tranquille, sans se presser, au rythme de notre âge qui n’aime pas la précipitation. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans la cité éternelle et qu’en un peu plus de cinq jours nous n’avons pas fait moins de soixante kilomètres à pied et beaucoup plus en bus et en tramway. De Spritz en Spritz, nous avons visité la plupart des quartiers (pas tous, loin de là), de cette ville où l’on se perd, même en allant tout droit.

Et ce fut une révélation. 

CE QUE JE N’AIME PAS DANS ROME

Avant de parler de tout ce qui fait que Rome est la ville vraiment éternelle, surtout à mon cœur, je tiens à vous prévenir de ce qui est absolument déplaisant à Rome. Vous allez voir, ce n’est vraiment pas grand-chose.

Rome est une ville bruyante. Bruyante jusqu’à l’extase. 

Les travaux, permanents, même de nuit, font résonner les chocs massifs. Les véhicules de secours sont hurlants au point qu’on se bouche les oreilles à leur passage. La moindre conversation entre romains ne descend jamais en dessous du niveau du hurlement. On sourit un peu, on se lasse vite.

Les pavés. Ah, ces pavés noirs qui s’étendent partout, souvent dépourvus de mortier de jointure et qui émergent de façon hectique d’une chaussée ondulante. Ça use, quand on ne se casse pas la margoulette.

Les transports. Un système sibyllin aux horaires chaotiques. Le métro est handicapé par les profondeurs archéologiques de la ville. Les itinéraires des bus sont plus mystérieux que les textes interdits des origines du christianisme. Leurs horaires, c’est pire.

Tout ça, vous le voyez bien, c’est rien du tout. Mais alors,

Les touristes (14 millions par an dans une ville qui ne compte que 2 millions de citoyens) sont des hordes de groupes venues de partout et suivant, hébétées, le fanion d’un guide qui serine dans leurs écouteurs des informations convenues sur les lieux qu’ils traversent, se précipitant pour prendre des selfies là où tout le monde les a déjà pris. Si on leur demande où ils sont, ils n’en savent rien. Ils sont à Rome.

Il suffit de s’écarter d’un peu de leurs principales rues infestés et grouillantes pour se retrouver dans la Rome douce et souriante et d’aller boire un Spritz sur une terrasse ombragée et tranquille. On y entendra bien un peu de musique, deux hommes se parler en hurlant, probablement quelques sirènes stridentes et quelques volées de cloches, car on est à Rome.

ROME EN PROFONDEUR

Rome est une ville qui s’étend entre ses sept collines et le long du Tibre. Le Tibre fait plusieurs méandres profonds et les collines sont en plein dans la ville. C’est presque comme Paris, mais Paris est clair, cartésien, organisé. Pas Rome !

Screenshot

Rome n’a pas connu de Haussmann qui aurait creusé des perspectives et engendré une logique entre les monuments et lieux importants. Alors Rome est totalement imprévisible. D’autant plus que le centre de la ville est occupé par la Rome antique qui se fiche complètement de la Rome moderne. 

On a tendance à penser que la Rome antique a été arasée par la Rome moderne, mais ce n’est pas le cas. Les deux se sont imbriquées et, sur le mont Palatin, on découvre que des étages entiers demeurent formant un réseau de hautes galeries faisant penser à Piranèse.

Chacun se souvient de Fellini Roma, la scène où, en creusant un tunnel du métro, les ouvriers découvrent une salle ornée de fresques magnifiques qui, soudain s’effacent au contact de l’air et de la lumière. C’est bien pour cela que le métro ne passe toujours pas par le centre de Rome et que l’on est en train de construire cette nouvelle ligne qui apparaît comme un exploit d’ingénierie, d’urbanisme et de culture.

La Rome antique et la Rome moderne n’ont rien en commun, mais sont obligées de coexister, l’une s’inscrivant dans l’autre. 

La Rome d’aujourd’hui plonge ses fondations dans l’ancienne. Elle doit contourner les monuments, s’accommoder de leur conformation du relief et, désormais, après qu’on a construit pendant des siècles et démolissant la ville du passé. 

Désormais, la Rome antique ressurgit, réémerge, s’expose aux regards, augmentant sans vergogne le désordre de la cité. Les fouilles, partout, ressuscitent la Rome des Césars, font jaillir l’extraordinaire puissance de la capitale millénaire. 

Puis il y a les églises, plus de 900 ! à Paris, où il y en a beaucoup, il n’en est qu’un peu plus de cent. Autant dire qu’à Rome, chaque coin de rue offre une vue sur une église. Même dans notre hôtel, une porte discrète ouvre sur une église à laquelle il est adossé. 

Dieu est omniprésent et les gens pour y croire sont légions, et cela va bien plus loin que la discrète bigoterie de mes concitoyens : on vient à Rome pour prier ! L’athée n’est pas en odeur de sainteté dans la ville éternelle.

A Rome, point de roman, point de gothique, l’art antique des basiliques vient télescoper l’art moderne de la Renaissance. Ce qui donne aux églises cet aspect caractéristique d’un long bâtiment de brique (antique), au toit en V (antique), au décor de marbre (moderne) et à la façade de marbre (moderne). 

A Rome, point de croisée d’ogive, pas de vitraux, mais des plafonds en or et des délires de marbre dignes de la Rome des Césars. Et c’est dans une de ces basiliques somptueuses que nous avons pu voir un mariage tout simple avec grand orgue, chœurs et curés en grand uniforme. On est à Rome !

Ah oui, contrairement à la Grèce adepte du marbre, Rome fut surtout fan de la brique et du béton. Cela a eu pour conséquence la multiplication des étages et la modularité, comme le Colisée. 

Et partout, dans Rome, surgissent, dans les murs, les soubassements, les parois des immeubles modernes, les parois de briques de l’antiquité. Les toilettes d’un restaurant sont installées dans des catacombes.

 

DON RIGATONE A SU TAVOLA

Allez, on va l’appeler Don Rigatone. C’est le chef de la famiglia et personne ne lui conteste ce titre. Nous étions assis à la terrasse d’une trattoria proche du Panthéon quand il est arrivé, entouré de sa famille, quatre hommes et deux femmes. Les femmes minces et maquillées comme des voitures volées, les hommes massifs, bedonnants, le cheveux rare et gominé.

Don Rigatone s’est assis en bout de table, personne d’autre ne vient en bout de table et, seul Il Gattino s’est assis à sa droite, près de lui. Il Gattino, c’est le fils d’El Tigre, l’homme de main de Don Rigatone, qui est parti bien trop tôt, laissant son fils, si mignon, à la charge du chef de famille. Aujourd’hui, Il Gattino pèse cent kilos et a une mâchoire plus large que son front. Son regard ne brille que par son adoration aveugle pour le chef de famille.

Don Rigatone se fait apporter le menu. Personne d’autre ne lira le menu. Il l’ouvre un instant, visiblement indifférent aux dix pages de pizze, pinse, primi piati, secondi piati, pasta, contorni, antipasti, dolce, specialita, blablabla. Puis il engage une discussion avec le serveur sur la cuisson des pâte, la nature de la sauce, la présence de tomates et d’autres ingrédients. Et le loufiat apprend tout cela par coeur, pendant que le reste de la famille contemple tout cela comme on va à la messe.

D’un geste à chasser les mouches, agitant sa Rolex en or (fausse) et sa gourmette, il congédie le serveur et échange des regards entendus avec Il Gattino.

On leur apportera le plat convenu et chacun ne commencera à manger que quand Il Gattino confirmera que le chef de famille est content de ce qu’on lui a servi.

N’allez pas croire que c’est une situation exceptionnelle. Les menus de restaurants, à Rome n’ont rien à envier de ceux des restaurants chinois des années 80. Ils offrent tous les mêmes plats en mille variations. Tous les mâles romains ne peuvent s’empêcher d’exiger leur propre version d’un de ces plats au travers de discussions souvent interminables, sonores et accompagnées de grands gestes, sans que cela n’étonne ou n’irrite les serveurs. On est à Rome.

ROME DU JOUR, ROME DE NUIT

Rome n’est pas une si grande ville. J’imagine qu’elle n’est pas beaucoup différente de Paris. Mais c’est une ville compliquée, désordonnée, une ville où même les lignes droites ne vont pas vraiment droit. Et comme ça monte et que ça descend, il n’est pas impossible que là où vous allez se trouve plusieurs (dizaine de) mètres au-dessous ou au-dessous de vous. 

Beaucoup des places de Rome sont triangulaires, votre rue bifurquant en deux rues plus étroites et allant dans des directions totalement différentes. Sachant que les noms de rues n’apparaissent que de manière aléatoire, il n’est guère difficile de se perdre dans la cité éternelle. Le fait que ces ruelles tortueuses se ressemblent toutes n’arrange rien.

La ville devient un jeu de pénombres aux tons bistre, ocre, adoucissant le relief des bâtiments. La profondeur de l’obscurité donne à l’architecture des airs de fresque. 

 

MANGER À ROME

Manger à Rome est à la fois extrêmement facile et frustrant.

Le nombre de restaurants et considérable, proche du nombre des églises, c’est-à-dire presque mille. Ce sont des trattorias, des osterias, des pizzerias. Quoi qu’il arrive, le menu est presque toujours aussi épais que l’annuaire et parfaitement similaire à celui de tous les autres restaurants. 

Il y a quatre sortes de pizzas : 

–       La pizza en portion que l’on achète dans des magasins qui la vendent au mètre, chaque variété formant un long ruban sur le comptoir.

–       La pizza romaine qui est caractérisée par une pâte très fine, croustillante, un peu brûlée sur le pourtour car elle cuit deux fois plus longtemps que la pizza que l’on connaît et à plus faible température.

–       La pinse qui est une pizza ovale faite à partir d’une foccacia. Plus épaisse, et moins grande, elle fait la part belle à sa garniture.

–       La pizza napolitaine (au sud, presque en Afrique) qui ressemble à nos pizzas de chez nous et que les Romains tiennent pour aussi exotiques que la cuisine chinoise.

La plupart de ces pizzas est raisonnablement bonne, mais on est loin du grand frisson.

Alors, les pâtes ? 

On ne devrait manger que des pâtes à Rome car elles sont toujours parfaites, délicieuses et agréablement présentées. Toujours al dente (bien plus que par chez nous), elles sont faites de pâte fraîche (qui m’a dit qu’au sud, c’était le monde des pâtes sèches), elles sont mélangées à la sauce et inondent de parfum. Elles sont souvent trop salées.

Mais, le reste, alors ?

Eh bien c’est le monde de la déception culinaire. Quand on me dit que cette cuisine, il faut l’acheter pour ce qu’elle vaut et la vendre pour ce qu’elle dit valoir pour devenir riche, je pense qu’on a raison.

Les frituras sans sauces, grasses et peu fournies, les plats en sauces ternes et fades, les salades sans assaisonnements, les dressages moches, les saltimboccas et autres viandes cachant leur misère sous des sauces farineuses, les salades à l’esthétique de cantine.

On trouve peu de restaurants étrangers. Le rare restau chinois fut une expérience éprouvante (plus de 20 piments oiseaux dans une seule portion de soupe). L’Italie est peu ouverte à l’exotisme. Et l’exotisme, c’est la cuisine napolitaine quand on est à Rome. Cela explique peut-être que la plupart des restaurants offre presqu’exactement le même menu que leurs voisins. Au moins, cela rassure les touristes venus du monde entier, un monde entier où l’on trouvera partout des pâtes et des pizzas.

Dès que c’est pas des pâtes, la bouffe à Rome, c’est pas bon, que ce soit à vingt euros ou à cent euros. Il existe des restaurants hors de prix qui offrent de la gastronomie. J’ai essayé une fois. Le grand patron d’origine autrichienne qui m’avait invité en même temps que mes confrères, quand il contempla l’addition, déclara « elle va être difficile à faire passer, celle-là ». C’était un repas d’empereur romain, au tarif digne d’Auguste…

Heureusement, on se ratrappe avec le Spritz !

LES VISAGES DE ROME

Qu’ils soient italiens ou étrangers, les visages que l’on voit à Rome sont souvent remarquables. Au lieu de la moyenne uniforme d’un consensus social, Rome offre sans vergogne une foisonnante diversité d’apparences voulues ou subies. 

Il ne se passe pas une heure sans que l’on découvre quelqu’un qui expose sans complexe sa singularité.

Cela va de la vulgarité la plus affirmée à l’élégance la plus raffinée, de la beauté enchanteresse à la misère cruelle, de l’extraversion exubérante au recueillement mystique.

Rome est une ville d’expression. Les gens se laissent voir, se montrent et se réjouissent qu’on les voie. 

Rome est une ville bienveillante ou, qu’on soit romain ou pas, il suffit d’un regard pour qu’on se parle, qu’on noue d’éphémères amitiés qui sont dans l’âme de la ville.

Si une personne trébuche, trois autres se précipitent pour l’aider à se relever. Si on se sent perdu, quelqu’un vient tout de suite vous montrer le chemin. Lorsqu’on a volé le sac de Jackie, deux policiers sont devenus des Starsky & Hutch pour l’aider à retrouver (en vain) ce qu’on lui avait volé. Dans les rues, les voitures de polices toussent pour se frayer un passage dans la foule, s’avançant sans se presser parmi les passants. A Rome on ne se presse jamais. 

Les rues ne sont pas piétonnières, mais les voitures savent avancer sans jamais bousculer les passants. 

Et cette jeune serveuse pleine de charme qui m’embrasse pour lui avoir dit qu’elle était belle comme l’âme de Rome. Je me souviendrai d’elle sans connaître son prénom.

Bien entendu, il y a aussi des gens aux apparences vulgaires, extravagantes, mais au lieu d’irriter, ils nous renvoient à Fellini, à De Sica, à Dino Risi. Ils sont trop tatoués, trop maquillés, trop bijoutés, trop bruyants, trop tout et ils ajoutent à Rome une part de leur piquant. 

Il y a aussi ces gens un peu idiots et absurdes. Telle cette gardienne de musée qui exige que l’on contourne une barrière alors qu’il n’y a personne, ce conducteur de tramway qui exige que l’on contourne le véhicule pour entrer par la porte opposée alors que toutes les portes sont ouvertes et qu’il n’a personne ni dedans, ni dehors. A ce moment on se dit que les fonctionnaires ont envahi le monde.

On croise ces gens déformés par la vie qui affrontent sans faillir la difficulté de subsister.

C’est vrai que Rome est admirable, mais ce sont les Romains qui la rendent adorable.

 

LE CHIC ROMAIN

La Rome d’aujourd’hui est une cité propre sur elle. Malgré les graffitis, les panneaux de circulation étrangement tordus et couverts d’autocollants, les rues de Rome sont d’une propreté exemplaire, sans cesse nettoyées et rarement souillées comme le sont les rues de Paris et de bien de grandes villes.

Il y a quarante ans, j’avais découvert une ville noire, grouillante de Vespas et de petites bagnoles brinquebalantes.

La Rome d’aujourd’hui est lumineuse. Tout ce qui peut être ravalé et blanchi l’est assidument, jusqu’à la Bocca della Verità qui est passée du noir au blanc, tout comme le Colisée.

Ce souci de l’impeccable s’accompagne d’un soin particulier apporté aux détails. Le moindre restaurant de banlieue voit ses tables couvertes de nappes blanches recouvertes d’une seconde d’une autre couleur. 

Si l’on vous sert à boire, on ne manquera pas de vous apporter des amuse-gueules. Le bol de cacahuètes est posé dans une soucoupe sur des petites serviettes et les cacahuètes elles-mêmes sont sur une autre serviette en papier. 

Si vous achetez le moindre objet, il sera emballé dans du papier de soie, mis dans une boite, puis dans un sac scellé et enfin dans un sac en plastique pour pouvoir le transporter.

Chacun prend soin de sa tenue, même les plus modestes. On reconnaît le touriste à ce qu’il est mal habillé et l’entrée des lieux saints et des musées est interdite aux gens trop peu vêtus. 

Même les policiers sont bien habillés et fiers de l’être. 

Ce soin considérable à être élégant n’est pas sans conséquence. On a tendance à être plus poli quand on est bien habillé. C’est pas pour rien qu’on dit que l’habit fait le moine. 

Le moindre flic, gardien, serveur, peut s’offrir le luxe d’être grand seigneur et si l’on compte le caractère débonnaire des Romains, alors on peut s’attendre à être toujours bien traité. Ce qui rend cette ville d’autant plus plaisante.

Ce chic est mis à mal dans le Trastavere qui, à se présenter comme un quartier populaire, prend plutôt des airs de piège à touriste, bondé et plein de vendeurs à la sauvette. Cela se voudrait plaisant, c’est pénible.

ET LE VATICAN ALORS ?

Comme chacun le sait, le Vatican, ce n’est pas Rome, mais un état dans la ville. Y entrer est devenu un exploit éprouvant tant la foule est dense et les contrôles tatillons. Et quand on est rentré, on est canalisé comme un rat de laboratoire dans un itinéraire labyrinthique dont on ne peut s’échapper, où il faut avancer entre deux troupeaux de touristes avides de selfies et surveillés par des gardes prêts à tuer.

Entrer dans la basilique est inimaginable, donc je reste avac mes souvenirs d’il ya quarante ans et je pense que j’y gagne. la déambulation forcée fait qu’on ne peut rien vraiment voir et j’ai failli traverser les appartement des Borgia (fresques de Rafael) sans m’en rendre compte. Jadis, j’avais pu rester en paix, seul, à contempler ces chef d’oeuvre.

Le musée s’est beaucoup enrichi d’une extraordinaire partie égyptienne où l’on voit, en particulier, des sculpures de l’époque romaine à la croisée des styles. Rome et l’Égypte c’est une affaire de 2000 ans. Ce n’est pas pour rien que chaque place de Rome a son obélisque de la Concorde !

MÉTAMORPHOSE

Il était inévitable que Rome ait une influence majeure sur ma personne et cela se voit sans ambiguité sur mes photos :

Et, pour répondre à la question que je me pose toujours, j’y retournerai sûrement puisque tous les chemins mènent à Rome.

Gisors sous le ciel d’Île de France

Gisors est située à un peu plus de 70 kilomètres de Paris, juste un peu trop loin pour être assez près … comme l’eût dit Monsieur de la Palice. Juste un peu trop en dehors des axes principaux. C’est une de ces villes des portes de la Normandie qui a payé cher le passage des troupes alliées à la fin de la seconde guerre mondiale. La reconstruction hâtive des années cinquante a largement défiguré ce qui devait être une jolie cité enroulée autour de son chateau fort. La ville fait des efforts pour se donner du charme, mais il y a loin de la coupe aux lèvres et le caractère de sous-préfecture oubliée vient obérer le potentiel évocateur de la ville.

Et pourtant, Gisors ne manque pas d’arguments. On espérerait un effort de restauration de l’authenticité des façades médiévales qui bordent les rues principales et qui sont toujours enduites sans goût, sans projet d’ensemble. La ville devenue piétonnière et restaurée dans son style médiéval pourrait devenir un véritable pôle touristique. Le chateau fort qui domine la ville est un des plus anciens de France. Il a près d’un millénaire et a abrité de terribles mystères, dont l’emprisonnement des Templiers. Il attend simplement qu’on lui donne vie, que l’on mette en valeur la puissance de ses murailles. L’Epte qui passe et repasse dans la ville pourrait sûrement faire plus que de passer. Puis il y a cette immense église où le gothique flamboyant se marie aux ornements de la Renaissance et qui impressionne tant par sa taille que par ses richesses. 

Puis il y a le ciel, le ciel d’Île de France, si haut, si vaste, si profond et qui coiffe la cité de toute sa grandeur.

On y voit parfois surgir d’étranges silhouettes :

Gisors attend qu’on vienne la réveiller.

Voyage dans le Nord

ARRAS À NOËL

Le nord jouit de la délicieuse réputation d’une tristesse qui épouse l’hiver pour harasser les passants. Pourtant, cette petite ville porte la trace de Louis XIV et du monde baroque avec ses deux places immenses et d’une grande harmonie. Pour couronner le tout, un marché de Noël débordant s’y est installé, sous le signe de l’artisanat français et de la gourmandise. La couleur s’est invitée dans le plat pays et l’on se surprend à penser qu’on peut être joyeux en Picardie.

AMIENS EN HIVER

Amiens est pile sur la route qui va de Calais à Paris. C’est ce qui explique qu’on y sert des spécialités anglaises, à défaut de spécialités locales fort discrètes.

Le bas de la ville est sillonné de canaux qui font d’Amiens une sorte de petite Venise (encore une !). Perché sur la colline, la cathédrale impose ses dimensions colossales et son équilibre parfait. C’est une des plus grandes du monde et sa nef tutoie le ciel. Le bas reliefs peints qui ornent le chœur et les chapelles sont de véritables chefs d’oeuvres et d’authentiques précurseurs de la BD.

La tour Perret rappelle la tristesse de l’architecture d’après-guerre, mais elle fait son petit effet en concurrençant la flèche de la cathédrale.

Tunisie 1980 : aux portes du Sahara

Nous venions tout juste de nous marier et le lendemain de la fête un avion nous attendait pour partir nous ne savions où car notre cadeau principal était un voyage surprise. Donc, le matin du 28 septembre 1980, nous prîmes un avion de Tunis Air pour Tunis. où nous vîmes, vite fait, Sidi Boussaïd et Carthage, avant qu’un autre avion nous emmène jusqu’à Djerba.

Et là, une voiture nous attendait pour que nous partions le lendemain pour un voyage à travers les oasis du Sahara tunisien.

Oui, mais voilà, il pleuvait des hallebardes sur le Sahara. Oui, oui ! Et nous fûmes stoppés le long d’un oued déchaîné charriant toutes sortes de choses et de bêtes noyées. Nous dûmes remettre notre départ de deux jours et renoncer à suivre le plan surprise pour prendre notre destin en main.

Plus de guide complaisant, nécessité de faire face à notre destin et conduire dans ce monde étrange où fut tourné le premier Star Wars. Nous conduisions une petite Fiat endurante, d’autant plus que j’avais oublié de retirer le frein à main. Nous y faisions des rencontres dans chaque oasis, essayant d’expliquer à un homme habitant en pmein désert comment se dépatouiller avec la Sécurité Sociale; assistant, en invités, à une fête de mariage à Douz. Installés sous les palmiers, on nous faisait déguster les dattes qui se récoltaient autour de nous. Il fallut aussi nous habituer à manger du sable à chaque repas, un sable incroyablement fin qui faisait crisser les dents dans la plupart des plats, même dans le pain.

Nous nous étions donc fait des amis à Tozeur, puis, plus tard, à Douz tout en conduisant à travers le grand chott, un désert complètement plat, avec une route en tôle ondulée sur laquelle on ne peut conduire qu’à une seule vitesse pour ne pas casser la voiture. Le grand chott El Jerid où l’on doit s’enregistrer au départ et à l’arrivée et qui sur quelques dizaines de kilomètres brûlants nous expose aux nombreux mirages surgissant à l’horizon de sa surface salée.

Comme nous prenions notre temps, nous dûmes renoncer à descendre dans le grand sud pour visiter Tatouine. Voyager, c’est souvent renoncer au paysages, au profit des rencontres.

Nous apprîmes, plus tard que, pendant que nous faisions les Tintin dans le désert, nos parents et nos amis étaient éperdus d’angoisse car on leur avait dit que nous avions disparu en n’arrivant à aucune des escales prévues. Comment aurions-nous pu les informer que notre premier contact avec le Sahara s’était passé sous une pluie battante, à cette époque où le téléphone était encore un prodige de technologie accessible au prix de mille difficultés, surtout au fin fond de la Tunisie ?

C’était une Tunisie qui venait de s’ouvrir au tourisme sous la main ferme de Bourguiba. Une Tunisie où l’on s’étonnait encore de voir des touristes dans les oasis. Une Tunisie sans grands hôtels ni cars de touristes en bobs et en tongs. Une Tunisie sans islamistes et qui se plaisait encore à parler français. Une Tunisie qui rêvait de cinéma et de liberté.

C’était il y aura bientôt un demi-siècle.

J’ai retrouvé l’album photos de ce voyages et j’ai scanné et réparé les images floues et jaiunies de l’époque pour leur donner une nouvelle vie.

Week End en Normandie

J’adore aller passer un moment dans le petit port de Honfleur qui n’est ni sur la mer, ni même au bord de la Seine, mais bien abrité au bout d’un chenal. L’eau est partout, les bateaux de pêcheurs aussi, créant un contraste de forme et de couleur avec les innombrables maisons à colombages ou aux façades couvertes d’ardoise. On a l’impression de se perdre dans cette toute petite ville qui a gardé sa structure médiévale. 

La ville a su garder son âme malgré l’abondance des touristes qui se font pourtant plus rares en hiver. À deux heures de Paris, elle offre le dépaysement d’un endroit authentique et chaleureux. Les pêcheurs y font contrepoids aux touristes.

Les touristes, les marins et les plaisanciers y cohabitent avec une grande bienveillance. On est accueilli avec gentillesse dans les nombreux restaurants qui semblent s’être donnés le mot pour tous proposer les mêmes menus. Mais qui se plaindra de manger des moules, gober des huitres et déguster des soles et des daurades.

Il existe même un paradis des papillons actif même en hiver :

De Honfleur à Trouville, la côte est bordée de villages ponctués de belles demeures à colombages et de bords de mer escarpés. Villerville se souvient encore du passage de Belmondo et Gabin dans un Singe en Hiver. Puis on se trouve dans Trouville, une ville balnéaire qui a oublié de passer les années 50. La ville est gaie et nostalgique. On s’y sent bien, même si le soleil a de la peine à venir à bout de l’air de l’hiver. Les gros hôtels et le casino ont des petits airs de Lido de Venise.

Puis on passe à Deauville, immense dortoir à nouveaux riches  exhalant son snobisme. Sa gare ressemble à celle de Dalat parce que cette ville fut bâtie par les Français pour servir de villégiature aux colons accablés par la chaleur de Saïgon. On fuit et on retourne dans le monde des humains.

Au retour, escale à Pont Audemer. Une ravissante petite ville sillonnée de canaux étroits et surplombés de maisons à colombages et encorbellements. Hélas, la ville est encombrée de voitures qui rendent les promenades à pied dans les ruelles étroites difficiles et dangereuses. 

Montpellier, on dirait le Sud !

Montpellier est une drôle de ville au caractère singulier et attachant. C’est une ville de jeunes, libres, recontactés, heureux et souriants. C’est une ville qui bouge et qui aime bouger. Elle a surgi au Moyen Âge, posée sur un rocher au milieu d’un réseau de cours d’eau serpentant entre les étangs et les marais. Cela fait que la ville héberge aussi une vaste population de moustiques.

Les Romains, présents dans toutes les villes alentour n’ont pas jugé bon de s’y installer et d’y tracer leur quadrillage urbain si commode. Montpellier, c’est une ville où la plus large avenue n’est pas plus large qu’une rue moyenne de Paris, Les rues ne sont presque jamais droites, serpentant le long des pentes du Mont Pellier. Cela veut dire qu’on est toujours en dessous ou au dessus d’un autre endroit et que le chemin le plus court ne saurait être en ligne droite.

Louis XIV y a laissé sa trace en creusant une saignée majestueuse qui ferme plus qu’elle n’ouvre la cité. À l’opposé Ricardo Bofill a érigé tout un quartier extravagant fait de frontons et de colonnades. 

Cette ville, dont le centre n’est guère plus grand qu’un arrondissement parisien, est un triple plat de spaghettis incompatibles entre eux, fait des voies de quatre lignes de tramways surgissant de partout, de routes et de rues bardées de sens interdits inopinés et de barrières anarchistes et de pistes cyclables vindicatives. Le tout dans un festival de travaux dantesques rendant les GPS paranoïaques. On peut souvent se trouver pris en sandwich entre trois ou quatre niveaux de voies enchevêtrées se bloquant le passage l’une de l’autre. On finit à pied dans le dédale des rues brûlées par le soleil parmi une foule de jeunes gens au sourires bronzés. 

Montpellier compte presque autant d’universités et d’écoles que de restaurants. C’est une des raisons pour lesquelles la ville est pleine de jeunes, des jeunes instruits et curieux de tout qui font de l’ambiance de cette ville une des plus agréables qui soit. 

C’est aussi pourquoi le fils de Binh, Ti Duc, a choisi de venir y faire ses études. Il a aussi la chance d’intégrer l’importante communauté vietnamienne de la ville et qu’il a pu rencontrer un jeune youtubeur aussi talentueux que drôle et sympathique. Il s’appelle Hai Dang, ce qui veut dire « phare » en langue vietnamienne, ce qui ne l’empêche de ne pas avoir le moindre sens de l’orientation.

https://www.youtube.com/results?search_query=hai+dang

Ce qui frappe le plus le parisien morose, c’est la gentillesse de tous les habitants qui, même quand ils doivent vous opposer un refus, tentent de vous proposer une solution, de vous aider par tous les moyens. Ils sont jeune, ils sont beaux, ils sont sympathiques.

Alors on oublie les moustiques et l’heure entière qu’on a passé à se rendre à cent mètre de chez soi.

Et puis la mer n’est pas loin, elle envoie, par moment, le soir un peu de fraîcheur !

Tout près de là, à une vingtaine de kilomètres, Aigues Mortes se dresse elle aussi au milieu des étangs et des marais. Forteresse portuaire, elle est demeurée presque intacte depuis huit cents ans avant de devenir un piège à touristes.

En route pour la croisade !

Tout près de montpellier, à un quart d’heure de bus, la côte alligne une ligne continue de bétonnage portant la signature malencontreuse de l’urbanisme des années 70. Le seul avantage, c’est de pouvoir troiuver une plage de sable achaud sur une mer d’azur à un jet de pierre de Montpellier.

Vinci par ci, François par là. Nos châteaux de la Loire.

2020, c’est l’année de nos quarante ans de mariage. Il était temps que je découvrisse Chambord, Chenonceau et tutti quanti.

Nous avons donc pris la route avec la ferme intention d’en voir peu, mais de les bien voir.

Nous arrivâmes à Orléans, un dimanche pluvieux de confinement. Autant dire que le premier contact avec le val de Loire fut un peu gris. Rues quasi déserte, tout fermé, des enfilades de pierre grise, toute la gaieté de la vie de province. Heureusement, nous y fûmes rassasiés par les meilleures carbonara du monde, cuisinées à même la meule de fromage. Les sourires se voient encore mieux sur fond gris.

Le pont de Beaugency

Puis ce fut Beaugency, joliment déserte au milieu de ses ruines de donjon et ses façades bien closes. Par bonheur, notre hôtel, une abbaye reconvertie, nous offrit un dépaysement tout cistercien. Non loin de là, dans la toundra urbaine des villages assoupis, une jeune brasserie toute pimpante nous fit échapper à l’ennui d’un restaurant corseté que nous avions fuit.

Prenant la route vers Chambord, nous fîmes la pénible expérience de campagnes  défigurées par les pavillons sans style, les centres commerciaux sans âmes et les entrepôts sans objet. N’allez pas croire que les châteaux de la Loire se pressent tous les uns en vue des autres. Ils sont plantés au milieu du désastre d’une campagne en déshérence. Villages gris aux façades plates et volets fermés agglutinés le long de la route entre une multitude de rondpoints.

Chambord

Puis, soudain, Chambord. Le nom vous emplit la bouche, sonne comme un cor de chasse. La folie architecturale trônant au coeur d’un parc immense et des forêts sombres traversées d’allées. On reste sans voix, on s’envole jusqu’aux toits par la double hélice de cet escalier fou pour découvrir une forêt de cheminées et clochetons. Chambord dépasse tous les rêves et tous les contes de fée, Leonardo et François s’en sont donnés à coeur joie, sans ni le finir, ni l’habiter.  C’est encore plus beau car c’est le triomphe de l’inutile.

Encore un petit saut, ce fut Blois, le temps d’un déjeuner et d’un coup d’oeil au château, et hop, nous voilà à Amboise !

Amboise

Ambroise et son château conçus un soir de grande ébriété … Il y a bien un château construit sur une avancée rocheuse entre la ville et la Loire. Mais il y en a un autre construit sur le premier. Un château pour habiter, tandis que le premier est juste là pour faire peur aux envahisseurs. Du coup, il faut beaucoup monter pour arriver au logis royal. On a même bâti une tour avec une rampe en spirale pour pouvoir grimper à cheval. Vue depuis le logis, tout là haut, de l’autre côté d’un jardin, on voit une petite chapelle avec la dalle funéraire de Léonardo. Mais quand on est en ville, on se rend compte que la petite chapelle est plantée au sommet d’une tour de près de cinquante mètres … Ils ont dû boire beaucoup de Quincy et de Vouvray avant de dessiner ce château délicieusement foutraque. 

La chapelle d’Amboise

La ville est blottie entre le château et la colline qui forme la berge de la Loire. Et on semble n’y faire que manger. Le voyageur en quête de Renaissance est grandement tenté de se régaler dans les innombrables restaurants qui jalonnent sa route et offrent des menus à l’abondance rabelaisienne. Un peu plus loin, les habitations deviennent troglodytes et au bout du chemin, on tombe sur le Clos Lucé, le Sam Suffit de Lenny da Vinci. On peut y voir tout ce que le génial inventeur n’est pas parvenu à fourguer à ses mécènes divers. Amboise,  c’est la ville à ne pas manquer si l’on veut se frotter à l’inventivité de la Renaissance.

Chenonceau

Cap sur Chenonceau. Traversée de campagnes défigurées et, soudain nous pénétrâmes dans l’écrin de nature qui embrasse le château. Autant Chambord s’impose en grandiose, autant Chenonceau se pose en précieux. On le voit d’abord par la tranche, petite merveille d’harmonie. Puis, seulement si on s’éloigne, on découvre la longue partie construite sur le pont et qui semble n’avoir jamais été achevée. Cette longue partie du château est faite de deux galeries superposées, qui servirent d’hôpital, peut-être de salles de bal, elle n’est là que pour s’exposer à l’admiration des visiteurs. Entouré de jardins de la Renaissance, de champs de fleurs qu’une jeune femme assemble en de somptueux bouquets, ce château est un songe.

Nous avons renoncé à Chaumont, entrevu en passant, à Azay le Rideau que nous connaissions déjà et à Cheverny qui fait penser à Tintin. Nous voulions voir Loches. 

Un petit détour par Tours nous montra une ville écartelée entre un décor de ville pieuse et provinciale à l’ennui propret et son envahissement par les étudiants et toutes sortes de gens bien décidés à vivre leur vie dans la diversité des arts et cultures. C’est comme l’huile et le vin, ça a du mal à se mélanger. D’autant plus que la ville est cernée par une banlieue hideuse.

Loches, c’est une ville plus qu’un château et ce n’est presque plus la Loire. Mais c’est un village étrange, une église étrange, un donjon inquiétant (merci Louis XI) et une plongée dans un Moyen Âge finissant revu par Viollet le Duc. C’était jour de marché et nous y achetâmes des artichauts. 

En définitive, le val de Loire est une juxtaposition de merveilles un rien espacées, souvent dissimulées derrière de hautes haies. Avec un peu de malchance, on peut traverser toute cette région sans rien voir de ses beautés. Ces lieux d’exception sont malheureusement assiégés par un environnement déprécié, triste et dont on rêverait qu’il prenne conscience de son unité, de son rôle au sein de l’histoire humaine.  

Et maintenant, voici la même chose en images …

Rouen : la ville cathédrale

PORTRAIT DE LA CITÉ

Pourquoi écrire sur Rouen plutôt que sur Chartres, Lyon ou Strasbourg quand on a l’habitude de s’exprimer sur Venise, Hanoï et Saint Pétersbourg ? 

Rouen est une ville dite de moyenne importance située à une heure de Paris. Autour de Paris aussi, à des distances comparables, on trouve d’autres villes que l’on pourrait comparer à Rouen. Et pourtant Rouen est unique. Pourquoi ?

Contrairement aux autres villes situées à cette distance, Rouen a le double caractère d’être médiévale et moderne, monumentale et familière, diverse et homogène. Au fil des ans et des restaurations, Rouen a su intégrer à un tissu monumental et architectural ancrés dans le Moyen Âge une activité artistique créative et pleine d’humour. Rouen a échappé à cet encensement. Chartres ne vaut que pour sa cathédrale et nous fait sombrer dans son ennui beauceron. Provins, Compiègne ou Beauvais sont tout aussi assoupie dès que l’on s’éloigne de leur coeur touristique strictement circonscrit et souvent dissocié de la ville elle-même qui vit sa vie autre part. Tout y est en ordre, on vient voir, puis on s’en va. Tel n’est pas le cas de Rouen qui, à l’instar de Bordeaux, Strasbourg ou Lyon, entremêle son patrimoine architectural et historique avec sa vie quotidienne.

Rouen, ce ne sont pas moins de trois cathédrales gothiques qui se dressent à quelques pas les unes des autres. La catrhédrale peroprement dite, est la plus grande et la plus haute de France et la troisième au monde après Ulm et Cologne. Mais c’est aussi une multitude de restaurants de tous les exotisme, une foultitude de boutiques aux artisanats étonnants, une mosaïque de gestes créatifs plein d’humour sur la nature du lieu. Rouen est une ville amusée d’être à ce point historique. 

Tour le centre ville est piétonnier, repoussant les voitures à quelques axes et passages obligés. Du coup, on se prend à oublier leur présence et à se promener à pied dans le tissu dense des rues bordées de maisons ventrues aux colombages et encorbellements hasardeux et romantiques.

J’ai découvert Rouen il y a plus de cinquante ans. C’était une ville noire, marquée par l’industrie, lacérée par les traces de la guerre. L’étroitesse des rues qui nous charme aujourd’hui les rendait impraticables du fait des voitures. Tout était sombre, ennuyeux, un rien hostile au gamin que j’étais. 

Puis, au fil des ans, cette ville a été restaurée, s’est emparée de son patrimoine pour l’embellir, mais surtout y vivre. Plutôt que de le momifier, elle s’en est amusée, l’a rendu familier, vivant.

Rouen bénéficie d’une lumière océanique aux tons marqués et aux nuances changeantes. Monet ne s’y était pas trompé en peignant quarante fois la façade de la cathédrale. Et, aujourd’hui encore, cette façade surprend par le jeux de ses couleurs et de ses lumières que l’on découvre à chaque fois qu’on lève le nez.

Pourtant, tout n’est pas parfait, loin de là. Tout d’abord, il faut bien reconnaître que la reconstruction des années 50 et 60 a laissé d’affreuses empreintes dans le tissu authentique qui avait survécu à la guerre. Plus tard, les reconstructions se son prises à mimer les vraies maisons anciennes, avec plus ou moins de bonheur. Mais, in fine, la ville a digéré ses influences, jusqu’à intégrer cette étrange église, délire des années 70 qui encombre la place du Vieux Marché, en se voulant métaphore d’un feu. C’est vrai que Jeanne d’Arc est partout dans Rouen, ville où elle s’est pourtant contentée de brûler …

Tout n’est pas parfait non plus dans ce qui entoure le centre ville historique. À peine sortis de ce coeur, on retrouve un mélange de rue grises et voies rapides gérées comme des spaghettis par les Ponts et Chaussées. Si le coeur est charmant, l’enveloppe est bien triste, sans égard pour l’harmonie de la ville. 

Rouen est bâtie au bord de la Seine, mais elle lui tourne le dos. La Seine, ce sont des ponts inaccessibles, un port qu’on ne voit pas, des voies express infranchissables. Qui est au coeur de Rouen peut ne jamais voir le fleuve. La Seine qui ouvre là son estuaire et fait de Rouen une ville maritime, la Seine qui rappelle à Rouen ses origine Viking, la Seine est repoussée au loin, ignorée, mal aimée. Même si l’on célèbre la marine à voile sur les bords de la Seine chaque année, à Rouen, le fleuve est vite oublié et sert d’obstacle, de rempart, de frontière éloignée. La ville serait tant grandie de s’en rapprocher, de l’accueillir dans son tissu palpitant.

Puis, plus loin, l’industrie a installée ses puanteurs et ses laideurs le long du fleuve qui, parfois viennent empoisonner la ville en toute impunité, c’est peut-être la raison de ce désamour qui déprécie la cité.

Et puis on revient dans le centre, on se perd dans les rues, on se régale dans les restaurants dont certains sont si anciens qu’ils l’étaient déjà quand Jeanne est passée par là, on s’installe aux terrasses où des moineaux intrépides picorent les miettes, on se promène parmi les enseignes et les devantures inventives. On fait la conversation avec les Rouennais qui aiment leur ville et aiment à vous l’expliquer. La Couronne, restaurant fondé en 1355, côtoie des barbecues coréens et des estaminets vegan et macrobiotiques. Une droguerie ancestrale fait voisinage avec une gadgeterie japonaise. Les bikers en Harley côtoient les familles paroissiennes. On y fait aussi beaucoup la manche, parfois même avec du talent. Une vraie ville, quoi. 

Je n’avais jamais passé la nuit à Rouen, maintenant, c’est fait et je ne suis pas déçu ;

L’esprit de Rouen, c’est d’avoir installé une école des Beaux Arts dans un cimetière en plein air (l’Aitre Saint Maclou), un goût pour le recyclage créatif plutôt que l’encensement mortifère.


Son et lumière devant la cathédrale

La nuit, Rouen ne s’endort pas, si les rues se vident peu à peu, les lumières magiques et les bars et restaurants restent actifs, joyeux, pleins d’une vie riche en bonne humeur.

Contrairement à bien des villes du pourtour de Paris qui s’assoupissent autour de leur cathédrales, de leurs tours médiévales, de leurs palais et de leurs colombages médiévaux, Rouen à choisi de vivre et de s’amuser au milieu de son passé et de se créer une véritable identité. C’est ce qui la rend unique à mes yeux. Lorsque, depuis chez nous, dans les Yvelines, nous considérons l’idée d’aller « en ville », nous avons le choix entre Paris et Rouen qui nous demanderont chacune une heure de route et de transport. Nous choisissons souvent Rouen …

Encore une fois, nous sommes retourné à Rouen pour y déjeuner (à la Couronne, le plus ancien restaurant de France, fondé en 1345 et où Jeanne d’Arc déjeuna avant de brûler). Puis nous avons baguenaudé dans les rues animées de la ville entre les maisons à colombages et encorbellements et les cathédrales de plus en plus gothiques.

J’ai même cru m’y reconnaître un peu …

Et encore un tour à Rouen qui ne cesse d’être la ville la plus agréable des environs de Paris

On y rencontre toutes sortes de saints … C’est parce qu’il y a tant de grandes églises dans cette cité.

Retouché dans l’application Prisma avec Kawaii

UN ALLER VERS LE PASSÉ

On ne pouvait pas manquer ça : La ville de Rouen organisait une fête médiévale et nous pouvions y emmener notre petit fils. De plus il faisait beau, chaud et il y avait plein de soleil. Alors, en route !

Et cette fois-ci, la ville tranquille et bienveillante s’était muée en une fête où se pressaient une foule de visiteurs amusés et curieux. Sur chaque place, entre chaque cathédrale, au milieu des cours, des esplanades, des parvis et même des grands rues, se tenaient des stands d’artisanat médiéval souvent très originaux, se déroulaient des farces parfois très drôles, défilaient des joueurs d’instruments médiévaux et des hordes d’enfants en tenue de chevaliers, s’organisaient des jeux aussi paisibles que le tir à l’arbalète. C’était aussi l’occasion de s’éloigner un peu du centre pour atteindre des quartiers reconstruits après la guerre, longtemps délaissés, et qui semblent désormais en voie de gentrification. C’était aussi l’occasion, une fois encore, de constater que Rouen s’est construite contre le fleuve, tournant le dos à la Seine bordée d’une longue avenue et de lignes de tram, quasi infranchissables, bordée d’arbres qui dissimulent l’eau traversée de ponts tristes qui mènent, de l’autre côté, à un plat de spaghettis autoroutiers et à un décor suburbain d’entrepôts, d’usines et de centres commerciaux. C’est quand même curieux pour une cité portuaire d’une telle importance.

Vacances aux Îles Grecques

Cela fait plus d’un mois que nous vivons confinés, habités de la certitude que nous ne sortirons pas de sitôt. Malgré notre jardin et la tranquillité de notre vie de retraités pleins d’imagination, la nostalgie nous visite des horizons lointains, des dépaysements magiques que nous offrait la vie.

C’est ainsi que m’est revenu le souvenir délicieux des îles grecques.

Skiathos, Mykonos, Alonissos, Andros, Skopelos. Ce sont les îles grecques, des paradis  saupoudrés au gré du vent au coeur de la Méditerranée, entre la Grèce et la Turquie.

Pendant plus de quinze ans nous sommes partis pour ces îles, surtout Skiathos où notre ami Thomas nous louait sa jolie maison d’architecte. Nous y allions avec nos filles et avec Sophie pour y passer de longs séjours entre le soleil et la mer. 

Nous avions, là-bas, un gros 4×4 multicolore dont nous avions retiré les portières. Toute l’île savait que nous étions là car notre voiture nous annonçait. Au fil des ans, nous étions devenus familiers de l’ile et on nous accueillait en amis.

Chaque plage avait sa taverna, chacune différente de sa voisine. Certaines étaient des cantines avec des bancs, d’autres étaient de petits restaurants traditionnels, d’autres des lieux branchés, new wave.  Nous y buvions de l’ouzo en rajoutant à nos verres de l’ouzo que nous avions apporté en cachette. Nous appelions ça le « miracle ». 

Nous adorions aller au bout de chemins cahoteux vers des plages perdues où un pêcheur avait bâti son estaminet de plage où séchaient  des poulpes sur les traverses de bois. Une radio criaillait des chansons grecques et plaintives. On y croquait des mezzes  en buvant du résiné.

Le jour de mon anniversaire, Costas nous amenait sur la côte avec son bateau. Dans une taverna de la côte, des pêcheurs nous attendaient avec des langoustes dans des sacs en plastique… Nous les dévorions toutes, Costas dévorait tout ce que nous ne mangions pas, surtout la tête !

Quand nous repartions, dans le petit avion qui nous ramenait à Athènes, Jackie, invariablement, pleurait.

Skiathos était notre île de rêve, entourée de plages, de dauphins et de quelques méduses. Nous attendions pour aller en ville que les paquebots et leurs troupeaux de touristes hébétés aient levé l’ancre. Alors la ville était à nous, tranquille, pleine de musique jouée aux coins de rue, répandant ses parfums délicieux dans la nuit tiède.

Aujourd’hui, nous rêvons de retourner sur notre île, mais les filles ne seront plus là pour s’émerveiller et les souvenirs joueront à nous faire regretter le passé. Nous finirons bien par céder !

Voici quelques images de cette époque merveilleuse :

Puissent ces petits bonheurs éclairer votre confinement …

The World in my Dreams

PAYSAGES DE MES VOYAGES

GALAXIE IMAGINAIRE

CRAZY MAPS

PAYSAGES DE MES VOYAGES

Au commencement existait la photo argentique. Il fallait tout calculer à l’avance et prendre soin de son cadrage. On devait toujours se souvenir que chaque déclenchement coûtait cher et que les pellicules ne contenaient au mieux que 36 vues. On devait attendre son retour pour pouvoir constater qu’on avait réussi ou raté ses photos. Bien des instantanés saisis dans l’instant se sont révélés au retour de tristes clichés mal cadrés, mal exposés et encombrés d’un passant inopportun…

Puis a surgi la photo numérique que tout photographe un peu expert a vilipendé avec mépris. Il n’est pas de personne plus conservatrice qu’un photographe ! Il en est encore à proclamer que rien ne vaut ce bon Kodachrome, voir cet excellent Tri-X. Le numérique a immédiatement apporté deux solutions décisives aux problèmes de photographes : Le nombre de clichés n’était plus limité et on pouvait vérifier dans l’instant si la photo était réussie. Le capteurs  et les cartes de mémoires étaient les seuls points noir de ce progrès, Mais, au fil des ans, tout ceci a changé et les moindre capteur dépasse facilement les capacités des meilleurs films et les cartes sont capables de stocker des montagnes de photos.

Puis sont apparus les logiciels de traitement de l’image, en particulier l’incontournable Photoshop, qui ont permis d’apporter aux photos brutes les améliorations nécessaires à leur qualité. Grace à ces logiciels et un peu d’entraînement, on a pu améliorer considérablement les photos qui se sont affranchies très largement des contraintes de l’instant de la prise de vue.

Un dernier pas est franchi avec les innombrables applications associées aux tablettes. L’utilisation et la combinaison de ces applications élimine toutes les limites de l’imagination. Grâce à ces applications la photo devient image. La réalité saisie à la prise de vue n’est plus qu’un point de départ pour celui qui cherche, comme moi, à composer des images à partir d’éléments réels, mais objets de toutes les formes de créativité.

J’ai bourlingué un peu partout sur cette planète, découvrant au fil des ans de nombreux pays aux atmosphères, cultures, climats forts et différents. 

J’ai, pendant près de trente ans, été un habitué de l’avion de sept heures, celui que prennent ceux qui travaillent « à l’international », c’est à dire qui doivent arriver quelque part en Europe pour la réunion de neuf heures… et plus loin pour celle qui commence en début d’après-midi. On les reconnaît bien dans, les aérogares, à leur costard et leur « attaché case ». Ils sont seuls, pressés, fatigués et de mauvais poil. Chaque matin, de partout, partent partout des avions bourrés de ces types en gris. arrivés à destinations, ils sautent tous dans des taxis qui les mèneront à leur réunion dans une salle aveugle dans un immeuble bien propre, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à tous les immeubles de bureau. Et ils rentreront au soir par le même genre d’avion.

Et je voyageais dans ces avions. Mais j’essayais toujours de faire l’école buissonnière et de m’échapper vers la beauté des villes mystérieuses qui entouraient les immeubles de bureaux. Les gens avec qui je travaillais partageaient la même curiosité pour la magie du monde. Cela s’ajoutait bien sûr à tous les voyages pour le voyage. Mais je n’aurais jamais pu voir autant le monde qu’en m’évadant des innombrables trajets d’un jour au milieu des hommes en gris.

C’est ainsi que j’ai parcouru l’Europe :

Je suis allé aussi beaucoup plus loin :

Chaque pays, chaque contrée, chaque ville, chaque moment engendre des émotions qui sont autant de filtres de la réalité. La prise de vue permet de saisir et même de mettre en valeur cette valeur imaginaire, mais c’est au traitement que l’on peut ajouter, dilater et transformer cette valeur émotionnelle pour la conduire dans l’onirisme. 

J’adore me livrer à ce jeu qui se perfectionne au fil des ans. Travailler, transformer, amender, détourner, tricher avec le réel me permet de parler de mes rêves, de ces univers que l’on découvre en dormant, qui ressemble énormément à la réalité, mais qui ne l’est du tout non plus. J’essaie de faire des images venues de mille endroits dans le monde l’expression de mes rêves. Il m’arrive parfois (rarement) d’emprunter des images qui existent, prises par d’autres, mais qui me touchent. Je les altère, les modifie, y introduits des éléments qui les font échapper au réel. C’est une façon de créer un monde poétique en résonance  avec ce que m’inspirent les lieux.

On me dira que les collages et les trucages existent de longue date et que les surréalistes jouaient énormément à cela. Les dictateurs aussi. On comprendra que ce que l’on peut faire aujourd’hui est différent dans la facilité de créer l’illusion dans des profondeurs inaccessibles il n’y a pas 20 ans.

Entre les photos qui s’attachent à rendre la beauté et la magie du réel et les images qui nous entraînent vers le monde des rêves se dessine la différence entre présenter et représenter. Dans le premier cas il s’agit de se plonger dans l’essence du réel, dans le second il s’agit de s’évader de ce même réel. Il arrive même que les deux processus finissent par converger dans une même émotion. Toutefois la photographie traditionnelle, dans sa volonté de pénétrer dans la nature profonde des choses, procède par métonymie, par désignation de ce qui résume la chose. L’image onirique procède de l’inverse, échappant à la comparaison, elle s’évade dans vers l’arbitraire de la métaphore qui ne relève que de la complicité entre l’auteur et celui qui regarde.

Autant dire que les deux procédés sont respectables, mais que nous nous intéressons ici au second qui fait vibrer la corde du rêve.

Voici une sélection d’une centaine de ces images choisies pour leur diversité de lieux et d’interprétation graphique.

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GALAXIE IMAGINAIRE

Au cours de mes voyages, j’ai toujours pris beaucoup de photos que j’ai d’abord rangé dans des boites de diapositives, l’antichambre de la mort des images. Puis je les ai collées dans de gros albums où elles dorment depuis des décennies. Grace à la photo numérique, les photos de mes voyages prennent vie, me suivent partout sur les écrans qui ne me quittent jamais.

Puis, profitant des applications foisonnantes conçues pour l’iPad, je me suis beaucoup amusé à transformer les paysages de ma collection en petites planètes, mondes miniatures de mes souvenirs et de mon imaginaire.

Enfin, je me suis aperçu que Google Maps permettait d’entreprendre des voyages virtuels sur toute la planète en offrant des points de vue de tous les horizons, tous les sites et tous les monument qu’on puisse imaginer. Il m’a suffit de collectionner ces images prises par les machines de la plateforme pour les transformer en une galaxie de petites planètes qui doivent autant à la réalité qu’à l’imaginaire.

Toutes ces images prennent un sens nouveau en se sphérisant. Les perspectives changent et s’accentuent, des détails insolites sont mis en scène, la lumière se transforme. Cette transformation géo-planétaire stimule souvent mon imagination au moment même où je contemple un paysage et que je le prends en photo.

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CRAZY MAPS

Vous aurez forcément remarqué que, sur les réseaux sociaux, il arrtive qu’on nous montre des sites célèbres en se trompant sur leur localisation, surt leur nom, sur leurs caractères propres. La géographie est une discipline fort mal connue par nos contemporains qui s’eétonnent que la Chine soit si loin de nous quand on peut y aller en un coup d’avion.

Il m’arrive de montrer une carte du monde à certain de mes voisins pour lui demander de mettre le doigt sur le pays où il a passé ses vacances… panique à bord !

L’intelligence artificielle permet de corrompre la réalité au gré des fantaisies de celui qui s’en sert. Certains noius disent que c’est nouveau et que c’est un progès néfaste qui vient de naître des cerveaux enfants de l’électronique.

Que nenni ! Les hommes n’ont jamais cessé de réinventer le monde au gré de leurs croyances, de leurs religions, de leurs appétits de pouvoir. Cela dans le but d’asservir ou de tirer gloire. Maîtriser la géographie, c’est maîtiser le monde. Sans blague ! Celui qui sait lire les cartes sait gagner les batailles. Napoléon le savait fort bien.

Pour illustrer mon propos et vous faire ressentir l’impression étrange que cela produit, je me suis amusé à combiner Googl Earth et les fonctions génératives de Photoshop pour réinventer quelques lieux célèbres.

J’enrichirait cet atlas de fantaisie au gré de mes envies …

SACRÉ COEUR

TOUR EIFFEL

ARC DE TRIOMPHE

CARCASSONNE

MONT SAINT MICHEL

VERSAILLES

SAINT PIERRE DE ROME

MANHATTAN

LONDON

PARIS

Screenshot

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Cités Magiques

Toute ma vie j’ai fait de longs voyages.

Tout autour du monde, j’ai mis le pied dans des villes prodigieuses qui ont bercé mon imagination par leur paysages et leurs ambiances singulières.

J’ai vu New York, Moscou, Tokyo, Hanoï, Londres, Berlin, Stockholm, Athènes,Bruxelles, Dakar, Madrid, Istanbul, Rome, Oslo, Dublin, Lisbonne, Zurich, Prague, Amsterdam, Vienne, Budapest, Varsovie, Vancouver …

Et je ne parle là que des capitales, des villes majeures. Il faudrait aussi parler de Séville, de Florence, d’Edimbourg, de Cologne et de Linz ou Marseille, de Bruges ou de Ségovie, de Lyon ou de Lucerne, de Luxembourg ou de Lille.

Comment taire ma passion pour New York, mon amour pour Hanoï la douce, pour Athènes et Vancouver ? Et j’aime Paris, ma ville, sa beauté, son mauvais caractère !

Cependant, il existe deux villes qui font plus que cela. Deux villes qui vous coupent le souffle quand vous y mettez le pied, deux villes qui sont les mythes d’elles-mêmes. Deux villes sortie de la folie et du génie humain, deux villes qui se sont faites contre la nature, deux villes improbables et fabuleuses.

Ce sont Venise et Saint Pétersbourg. Toutes deux se sont construites là où il était inimaginable de créer une ville. Toutes deux sont des cités surgies de l’eau et des marais. Toutes deux on fait et font encore rayonner le génie et la démesure des hommes.

Je les illustre ici par un choix de photos panoramiques qui mettent en valeur l’aspect « plein les yeux » plutôt que l’intimité, parce que cette dernière, il faut y aller pour la connaître.

VENISE

C’est la cité de toutes les émotions, de tous les excès, de toutes les imaginations. Sublime dans son délabrement et ses renaissances, Venise vous saisit et vous porte hors de votre monde dans le tourbillon éblouissant de son histoire.

On y arrive et tout est tout de suite familier, on se fond dans la cité, on ne se lasse pas de se perdre dans les venelles et les petites places. Quand on a esquivé les troupeaux de touristes hagards qui se tassent dans une seule rue, on se trouve en la seule compagnie des chats et des mille fantômes d’une histoire étincelante.

Venise n’est italienne que par la main gauche. C’est d’abord une cité qui fait le pont entre l’Orient et l’Occident. Byzantine et baroque, elle exhale des secrets et des étrangetés à chaque coin de rue. Silencieuse car sans voiture, elle fait place à la musique, aux bruits de la vie, au silence.

Après trois semaines en plein carnaval, voici un nouveau jeu de panoramas sur Venise et ses environs …

SAINT PETERSBOURG

Saint Pétersbourg, c’est la Venise du Nord, enfin celle qui mérite le plus d’être appelée ainsi car la moindre bourgade avec quelques canaux revendique ce titre trop facilement usurpé.

C’est la Venise du Nord, non seulement parce qu’elle est sillonnée de canaux, mais parce que, comme Venise, elle a surgi des flots et du néant, pour s’emplir de palais et de perspectives magiques.

Quand on arrive à Saint Pétersbourg, une fois encore, on est saisi, sidéré, emporté dans l’imaginaire grandiose de la cité.

Pour mieux comprendre Saint Pétersbourg il vaut mieux écouter l’adagio de la Symphone Leningrad de Chostakovitch.

https://music.apple.com/fr/album/symphony-no-7-in-c-major-op-60-leningrad-adagio/1046248685?i=1046248706

Saint Pétersbourg, comme Venise, ne se sent pas russe, mais plutôt un pont entre la Russie et l’Occident. C’est une cité unique et ses habitants ont ce même orgueil frondeur qui causa la révolution et qui la fit résister aux Allemands pendant 900 jours.

Les communistes s’en méfiaient et lui préférèrent Moscou, mais il la reconstruisirent quand même, avec un respect quasi religieux.

Ces deux cités partagent la magie de leur intemporalité. Elles échappent au défilement des âges et se préservent comme des mondes à part, des concepts indifférents au changement. C’est d’autant plus vrai pour Venise qui lutte contre la submersion par la mer et par les touristes. Cela l’est un peu moins pour Saint Pétersbourg plus ouverte sur sa jeunesse et la modernité. Mais, en plein hiver, quand la neige forme un épais tapis, que la Neva et les canaux sont gelés et que la nuit glacée à fait fuir les passants, arrêté les voitures, Saint Pétersbourg se fait silencieuse et mystérieuse comme Venise pour le plus grand bonheur du promeneur transi.

Toutefois, contrairement à New York, par exemple, ces deux villes se préservent contre les transformations, les abatardissements. Il n’est pas innocent de constater que ces deux cités sont ceinturées des pires exploits de l’industrie, les lourdes usines de Saint Pétersbourg, les raffineries de Mestre à l’horizon de Venise.

ISTANBUL 1991

Bien sûr, il existe mille cités magiques dans le monde. Parmi elles, il faut citer Istanbul, cette cité qui marque tant la frontière entre l’orient et l’occident, entre l’antiquité et le monde moderne, entre l’Islam et le Christianisme.

C’était en 1991,Jackie m’ait offert un voyage à Istanbul pour mes quarante ans.La Turquie, après une longue période de troubles politiques, ethniques et religieux, s’ouvrait aux étrangers. Le pays était encore indemne des influences du tourisme.J’ai retrouvé les photos que j’avais prises pendant ce séjour.

Ce sont des diapositives dont beaucoup sont assez dégradées. Un travail sur Photoshop m’a permis de les restaurer autant qu’il était possible.

Mais, à les regarder aujourd’hui, je pense qu’il s’agit d’un document intéressant sur la vie des Turcs, industrieuse, authentique, émouvante.

Et bien sûr, que dire de New York, de Hanoï, de Prague, de Vienne, de Rome, Florence, Barcelone ?

Je vous montrerai des images de ces villes dans de prochains chapitres de cet article sous la forme de panoramas, ou dans des articles spécifiques.

Les Portraits De Mon Vietnam

Mon Vietnam, c’est d’abord une arrivée de nuit en 1995. Une route mal goudronnée bordée de maisons dégoulinant jusqu’à la chaussée ; un éclairage jaunâtre ; une nuée de vélos et de motos chargées d’invraisemblables cargaisons : des familles, d’interminables fagots de bambous, des cochons. J’avais l’impression de traverser un incommensurable bidonville dont j’espérais qu’il se commue en avenues ordonnées, en pâtés de maisons rassurants. Mais le taxi s’arrêta et le chauffeur nous montra du doit une vitrine bleue au milieu du chaos, c’était notre hôtel, nous étions en plein centre de Hanoï, à l’angle de cette fameuse rue de la Soie. En face de l’hôtel, des jeunes découpaient des pneus pour en faire des lanières et ils brûlaient les chutes au milieu de la chaussée.  Des haut-parleurs nasillaient des proclamations aux accents heurtés. L’air moite distillait une vague brume qui enveloppait le quartier d’un halo orangé.

Très vite, Hanoï se peupla de cette infinité de regards toujours souriants, amicaux, curieux. Ces Vietnamiens du Nord que l’histoire récente nous avait construits comme austères, fourbes et cruels, se révélaient plein de gaieté, de sincérité et de gentillesse. Emergeait dans mon cœur ma façon de nommer la ville : Hanoï la douce. Quelle émotion que ce vieux monsieur coiffé d’un béret et arborant la barbe de l’oncle Hô, qui vous aborde le long du lac en vous demandant d’une voix douce si vous êtes français et s’il peut avoir une conversation avec vous. Vingt-cinq ans plus tard, ce sont des groupes d’écolières armées de cahiers et de crayons qui vous entourent en vous demandant « Where are you from ? » pour vous interroger sur combien vous aimez le Vietnam. Le Vietnam a évolué, mais il n’a pas changé dans son cœur.

Hanoï s’éveillait tout juste après cinquante ans de guerre et d’un communisme orthodoxe rigoureux prompt à la persécution. Ces gens, surtout des hommes, qui nous abordaient près du lac étaient ces anciens bourgeois aisés (ennemis du peuple) qui avaient été autorisés à revenir après des années de relégation dans des provinces reculées. Ces gens nous disaient avoir été éduqués au Lycée Français et parlaient de leur nostalgie de la France. Ils appartenaient jadis à cette frange de la population qui s’était intégrée dans le milieu colonial et se souvenaient de la vie élégante des beaux quartiers de Hanoï qui font encore penser à Cabourg ou Biarritz. 

Notre meilleure amie à Hanoï, comptable de notre hôtel, venait tout juste de ce milieu. L’oncle Hô, aussi. Autant dire que d’aimer l’art de vie « à la française » de l’époque coloniale ne signifie en rien que les Vietnamiens eussent aimé la colonisation. Le Vietnam n’a connu son indépendance que pendant quelques années et celle qu’il a conquise aujourd’hui est marquée par un patriotisme enthousiaste. Mais les Vietnamiens ont intégré et recyclé la culture et le mode de vie à la française. Un étudiant me disait en 1995 que la constitution vietnamienne était calquée sur celle de la France … Pourquoi pas ?

Aujourd’hui, cette nostalgie de la France s’est évanouie au profit d’une attirance pour le monde anglo-saxon. Les jeunes n’ont rien connu de la guerre, ils adorent l’Amérique, détestent les Russes et surtout les Chinois.

Nous étions venus pour adopter. Nous avions notre dossier sous le bras et une ou deux adresses. Nous nous étions méfiés des associations et de ces enfants sur catalogue. Ce sont les Vietnamiens qui nous ont offert nos deux filles après nous avoir observés, sondés, appréciés. Nous avons ainsi échappé à l’ambiance méphitique des hôtels d’adoptants français recroquevillés dans une ambiance de hurlements et de relents de Ricard et de belote. Nous ne nous étions pas commis au sport américain des enfants sur catalogue, avec la photo et le prix. Nous avions échappé à ces bébés venus de provinces éloignées, prétendument orphelins, mais qu’on avait simplement extorqués à leur mère. Jour après jour, nous avions fait connaissance avec les gens de Hanoï, derrière les regards curieux, amusés, intrigués, nous avions fait la connaissance des vraies personnes que nous croisions au fil de nos recherches. 

Bien entendu, nous avons aussi croisé des fonctionnaires au visage fermé, au regard dur et à l’avidité revêche, des Vietnamiens, mais aussi les Français de l’ambassade, barricadés dans leur bunker, parlant de la ville comme d’un « dehors » hostile, étranger. Le monde en contient toujours, on ne peut les éviter. Même les fonctionnaires, campés dans le sérieux de leur statut, finissent par admettre qu’on trouvera toujours une solution à votre problème parce que vous êtes intelligent et généreux. C’est l’Asie ! L’extrême pauvreté  qui régnait encore en 1995 poussait les jeunes à vous tanner pour cirer vos chaussures, vous vendre des couteaux suisses contrefaits et toutes sortes de babioles. Mais le naturel affleurait toujours fait de curiosité et d’espièglerie. 

Hanoï était encore un gros village d’à peine un million d’habitants. Le jour, les paysans venaient vendre leurs bêtes et leurs légumes et des soupes bizarres le long des rues dans une pagaille que des policiers en side-car venaient souvent bouleverser. Puis le soir la ville se vidait car les paysans ne pouvaient rester dans la ville la nuit. Mais vers 4 ou 5 heures du matin, du balcon de la chambre, je regardais passer dans le quasi silence de la nuit, éclairés comme des fantômes, des troupeaux conduit par de minuscules paysannes en chapeau conique qui se rendaient vers le marché tout proche. Tout cela s’est évanoui dans le passé d’une ville qui grandit follement depuis un quart de siècle.

Les Vietnamiens sont fous des photos. Ils passent leur temps à se photographier. Aujourd’hui, le Vietnam accuse un énorme taux d’accidents dus aux selfies pris dans des situations dangereuses et acrobatiques. En 1995, de voir votre appareil les poussait à vous demander de les prendre en photo. Aucun peuple à ma connaissance n’aime autant se faire photographier. Nous avions trouvé un moyen de nous faire adorer grâce à un appareil Polaroïd. Nous prenions une photo grâce à cet appareil et nous l’offrions. Bonheur ! Aujourd’hui, ils sont encore heureux que nous leur montrions le cliché sur l’écran de notre appareil. Ils adorent poser, il est très rare qu’ils ne sourient pas à l’objectif. Finalement, le plus difficile est de les prendre dans leur vraie vie, de faire qu’ils nous ignorent pour saisir l’instant magique de la réalité. Avec le développement du tourisme et des moyens de photographier, le goût des Vietnamiens pour les images d’eux-mêmes a fait exploser la quantité de portraits en chapeaux coniques. Avec les clichés typiques de la baie d’Halong ou de Ninh Binh, ces portraits constituent l’icône du pays. Le Vietnam se représente très largement par l’image même de ceux qui l’habitent.  Ce ne serait que de l’exotisme facile, le même que l’on trouvera en Afrique ou en Inde, enfin partout où les gens ne sont « pas comme nous », s’il n’y avait pas deux composantes essentielles à ces portraits : la contribution active de ceux qui sont pris en photo, l’affect qui s’échange entre le photographe et le photographié.

C’est à travers cet échange que se constitue la vraie nature d’un portrait. Son absence rend l’image lointaine, abstraite, sans relief, intrusive. Elle peut être négative et charger le portrait de colère, de souffrance. Mais au Vietnam, cette empathie est le plus souvent positive, entre plaisir et rigolade, sans compter le respect, la densité du temps dans les portraits de vieux au regard profond comme le temps. 

Depuis vingt-cinq ans je ne manque jamais, lors de mes voyages, de réaliser une grande quantité de portraits à travers tout le pays. Alors que dans bien des pays on veut prendre le monument nu, sans passant malvenu, au Vietnam, il est presque essentiel que le paysage soit habité. Un temple sans moine, une rivière sans pêcheur, un village sans paysans, ce sont des images mortes. Donc, depuis toutes ces années, ce sont les gens qui habitent mes photos. 

Je pars le plus souvent accompagné de Vietnamiens et, en particulier de Monsieur Anh, un ami qui passe sa retraite à photographier son pays. Il fait partie d’une association officielle de photographes à Hanoï : photographier le pays est une œuvre nationale. En compagnie de ces amis, s’ouvre la porte des cœurs. De touriste je deviens membre de la famille, l’écran des sourires s’ouvre sur les émotions, la bienveillance et parfois sur la profondeur des âges. Ces portraits sont les mêmes au fil des ans. Le cœur du pays ne change pas, de la pauvreté encore cruelle de 1995 à la prospérité flamboyante de nos jours, le caractère des Vietnamiens demeure, fait de résilience et d’enthousiasme. Je ne connais pas de peuple plus convaincu de conquérir son bonheur et sa prospérité. 

Le Vietnam, ce sont les Vietnamiens et, aussi, une multitude de minorités qui se répartissent sur toute la longueur du pays (presque la même distance qu’entre Stockholm et Rome). 

Chacune de ces minorités se distingue par son costume que tout le monde porte. Ce costume n’est pas seulement l’affirmation de son identité, c’est aussi un gagne-pain. Hormis les Hmong toujours vêtus de noir et à la peau souvent teintée de ce noir tirant au bleu, toutes les minorités portent des vêtements et des coiffes aux couleurs rutilantes. Les Hmong en noir, armés de leur long couteau, aiment peu qu’on les regarde, qu’on les photographie. Ils mènent leur vie malgré les touristes. Les autres se montrent, virevoltent autour des touristes et les assaillent de leurs divers produits d’artisanat plus ou moins authentiques.  Ces peuples sont partagés entre leur identité fortement revendiquée et le désir de modernité : avoir les mêmes droits que les Viets, accéder au progrès, échapper aux traditions pesantes comme les mariages arrangés. L’explosion des technologies de communication, la petite vieille en tenue traditionnelle, dans un village du bout du monde, qui pianote sur son smartphone, rend ce grand écart encore plus saisissant. Ce qui en résulte est surprenant, c’est la disneyisation du pays : tant qu’à se montrer aux touristes, autant le faire de manière ludique et spectaculaire. Peu à peu les sites touristiques se convertissent en d’immenses parcs d’attraction mettant en scène les caractères spécifiques du lieu. Hoi An est l’exemple le plus saisissant de ce processus, la charmante petite ville qui avait échappé aux bombardements s’est muée en Lunapark. A Sapa, accéder au sommet du Fonsipan (3300m) se fait par un téléphérique tout droit sorti de Jules Vernes, le sommet est décoré de plateformes en marbre et domine un bouddha géant et une pagode spectaculaire. Et quand il n’y avait rien, on invente : Bana Hills, près de Danang, vous conduit à plus de 2000 mètres à une reconstitution de Carcassonne au dessus des nuages. Les touristes occidentaux sont fascinés et perplexes, les touristes vietnamiens sont fous de joie.

Les Vietnamiens, Viets comme minorités, adorent se mettre en scène, se représenter et se photographier avec un enthousiasme communicatif. Autour du Lac de l’Épée, dans les citadelles de Hanoï ou de Hué, des dizaines de couples en tenue de mariés se font photographier. Ils ont loué les tenues pour la circonstance et s’offrent des portraits sur fond de monuments. Quand ce ne sont pas les faux mariés, ce sont les étudiants en cape et mortier multicolores, qui se photographient à l’infini. Et si je passe par là, ils prennent la pose. 

Le goût de se photographier, de s’offrir à l’objectif des visiteurs, va de pair avec une passion du look et de l’élégance. Au Vietnam, on soigne sa mise, on tient particulièrement à être beau, à la mode, dans le vent. Vous me direz que cela n’est pas bien original et que les Français ont tout autant le goût de leur apparence. Il existe pourtant une nuance dans la valeur morale et culturelle que ce culte de l’apparence exprime. Sous nos cieux, on oppose la beauté intérieure (essentielle) à la beauté extérieure (futile). Au Vietnam, l’apparence nous exprime, il n’existe pas de frontière entre ce qu’on est et ce qui nous représente. Cela s’exprime dans l’uniforme des hommes, les tenues universitaires, les tenues religieuses, les costumes ethniques, la mode urbaine, l’affichage de sa modernité à travers des coiffures extravagantes. On se tatoue les sourcils, les hommes se font pousser les ongles (au moins un) pour affirmer qu’ils ne sont pas des paysans, on se teint les cheveux en rouge ou en bleu, on se couvre intégralement le corps pour ne pas risquer d’avoir la honte d’une peau bronzée. Il existe même une mode dans les tenues ethniques. L’image que l’on donne de soi-même est tout à fait essentielle car notre apparence révèle directement ce que nous sommes. 

Se prendre en photo, notamment en selfie, se faire prendre en photo, c’est atteindre l’âme sans intermédiaire. Ce qui signifie, in fine, que les Vietnamiens se donnent à voir, expriment spontanément ce qu’ils sont. La fameuse opacité des Asiatiques est un mythe que la réalité des images fait voler en éclat. Et cela me renvoie vingt-cinq ans en arrière où l’on nous avait fait savoir que tout serait possible quand on VERRAIT que nous étions sincères. Lorsque je me promenais en ville avec ma fille sur mes épaules, on me disait le soir : « on t’a vu ! ». La photographie ne produit pas une image, elle révèle ce que l’on est. Regarder l’objectif, c’est dire sa vérité. C’est assez différent de ce que propose la vision occidentale qui parle de poser, c’est à dire donner une représentation de soi, a priori différente de ce que l’on est vraiment.

L’an dernier, nous avons rencontré à nouveau la mère biologique de nos filles. Nous lui avons offert un petit livre rempli des photos du fils de notre fille ainée, son petit fils. Au delà de la découverte de voir ce bébé qui venait d’elle, cette femme a tenu ce livre dans ses mains comme si c’était le bébé lui-même. Il faut dire que si nos filles sont nos enfants par la vertu de l’adoption, nous avons toujours tenu à ce qu’elles sachent tout de leurs parents biologiques, ce qui leur aura évité une fois pour toute de se torturer sur leurs origines, drame fondamental des adoptés, je sais de quoi je parle. Nos enfants ne nous appartiennent pas, nous leur appartenons.

Photographier la vérité du Vietnam, c’est saisir la vérité de ceux que saisit notre objectif et qui se donnent (pas seulement à voir) à notre regard. Cela signifie aussi que le regard construit aussi son sujet. Le cliché est une interaction. Ne photographier que l’exotisme (c’est facile) refuse la création d’un lien, vide le portrait de des sentiments. En matière de stylistique, un tel portrait est abstrait, formel. Il peut être esthétiquement admirable, il ne transmet que son formalisme. Ma façon de voir me pousse vers le sentiment qui éclate dans le déclenchement. Je n’exclue pas forcément la colère parce que cette colère me parle.

Depuis vingt-cinq ans, à chaque voyage, je repasse dans la rue où se trouvait notre hôtel, ses savonnettes, ses tongs, ses moustiquaires, les jeunes qui brûlaient leurs restes de pneus dans la nuit, torse nu, en short. Les xy clo avec leurs cargaisons d’enfants, de meubles, de cochons, ont disparu. Aujourd’hui, c’est une rue à la mode avec de belles boutiques, une banque et un magasin de gadgets japonais. Le marché a été remplacé par une galerie d’art, l’énorme publicité pour le glutamate a disparu. Les hauts parleurs ne crachotent plus de slogans. Les motos s’accumulent sur les trottoirs impraticables, les touristes musardent partout. Je suis nostalgique d’un monde perdu que les Vietnamiens regrettent aussi parfois. Mes photos sont devenues des archives d’un temps qui ne sera jamais plus. Des boutiques s’ouvrent, qui évoquent avec ironie ce temps passé (« Old Propaganda Shop »). Hanoï s’est transformée en une image d’elle-même. Sa taille a décuplé, elle a beaucoup perdu, mais aussi beaucoup gagné. C’est une ville joyeuse.

Hanoï a profondément muté. Le gros bourg qu’entouraient des plaines parsemées de briqueteries, dont des routes cahoteuses sortaient vite pour rallier des villages semés dans les rizières, ce gros bourg s’est mué en cité sans fin de plus de neuf millions d’habitants, hérissée de tours d’habitation de cinquante étages traversée de voies rapides encombrées et pollueuses. Le cœur de Hanoi est toujours là, mais il s’est dépeuplé. Les marchés se sont raréfiés, les artisans ont déserté et la ville est devenue un lieu où l’on va et vient, mais où le petit peuple n’habite  presque plus. Les habitants se sont trouvés repoussés vers la périphérie de la ville. Allant et venant chaque jour dans un océan de motos et de pollution forçant tout un chacun à porter un masque de protection. Les jeunes filles qui se promenaient à vélo en ao dai blanc et chapeau conique, celle de devant pédalant, celle de derrière tenant une ombrelle, ont été remplacées par des gens à moto, casqués, masqués, lunettés, des nuées de gens sans visage se mouvant comme du sable le long d’interminables avenues. La seule coquetterie si vietnamienne, c’est le casque qui comporte une échancrure pour faire place à la queue de cheval. Un improbable métro, perché sur des piliers de béton, va de nulle part à nulle part et attend depuis des années d’être achevé.  

Mais le cœur de la ville résiste à tout, il a gagné en gaieté ce qu’il a perdu en authenticité. Jusque tard dans la nuit, quand il ne pleut pas des hallebardes, la foule déambule, s’amuse, dîne, danse, chante, se déguise, s’amuse, mange et boit dans les innombrables estaminets, cuisines de rues, bars et restaurants délirants de la ville. Je me rappelle, en 1995 la nuit qui tombait à six heures sur une ville qui s’assoupissait aussitôt. J’y avais découvert une pizzeria… Un des bars que fréquentaient les étrangers s’appelait l’Apocalypse Now. Les Vietnamiens n’ont jamais abandonné leur sens de l’humour.

Le Vietnam est un pays profondément matriarcal. Ce n’est pas immédiatement visible car les hommes arborent ostensiblement tous les signes du pouvoir. L’esthétique soviétique sévit toujours, les hommes adorent les uniformes, les casquettes plus grandes que la tête, les médailles et les cérémonials. Mais en arrière plan, ce sont les femmes qui réglementent tout. Les mères, les grand-mères et les fiancées tiennent les hommes en laisse, gèrent le couple, la famille, le pays. Le Vietnam gagne beaucoup à ce rôle prépondérant des femmes. Quand un homme décide que ce n’est pas possible, une femme dit toujours qu’on va s’arranger. Et au Vietnam, on finit toujours par s’arranger, et si l’homme n’est pas d’accord, il en prend pour son grade. D’autant que l’on a toujours l’impression que les femmes travaillent dur pendant que les hommes sont assis en cercle, en train de fumer, le torse nu, exhibant leurs tatouages. Image de cette mariée en train de mettre une trempe à son promis à grands coups de bouquet de fleurs. C’est mis en scène, mais ça parle.

Quand on photographie les Vietnamiens, les hommes et les femmes ne se présentent pas de la même façon. L’homme pose, se met à son avantage, essaie de se représenter. Les femmes communiquent avec l’objectif, par un geste, un sourire, une grimace. Ou alors elles se contentent de continuer ce qu’elles font en esquissant parfois un sourire. Les enfants quant à eux, adorent jouer avec le photographe et, comme tous les enfants du monde, se montrer espiègles. La timidité n’est pas de mise. Les couches coûtent chers, ce n’est pas l’usage, les tout petits se baladent cul nu et c’est tout à fait normal. 

Les Vietnamiens sont à la fois pudiques et sensuels. On les a qualifié de protestants de l’Asie. Le communisme n’a rien fait pour s’affranchir de la pudeur et de l’ordre moral. Mais, en même temps, le jeu de la séduction est omniprésent. On se touche, on se caresse, on se tient par la main, on rit, on pleure, on crie, on se séduit. Il existe au Nord une ethnie qui pratique chaque année l’échangisme des maris, juste pour voir ! Ce hiatus entre l’extrême pudeur et une sensualité affirmée déroute souvent les Occidentaux qui ont des envies simples. Cela contribue aussi à faire du Vietnam un pays romantique, une Asie préraphaélite. Cette dualité de pensée s’exprime aussi quand il s’agit de politique. Si tous les emblèmes du communisme sont omniprésents, les rituels hérités du soviétisme lourdement exprimés, ils sont aussi ouvertement mis en boite, détournés, trafiqués. On peut se présenter sous les dehors du communisme le plus rigide, mais on peut aussi se retrouver sur des campus d’universités américaines ou anglaises. Le Vietnam joue avec les symboles de ce qui l’a construit. L’oncle Hô et sa momie coexistent avec les monastères, les Bouddhas dorés et les symboles chrétiens. Tout cela entre dans la recette de la soupe vietnamienne de cet immense parc d’attraction que devient le pays. On y est mal payé, il ne faut pas trop gratter du côté de la liberté d’expression, mais quand on parle de la Chine, on vous répond : « C’est différent d’ici, là-bas, c’est une dictature ! ».

Chaque gosse de ce pays fait tout pour apprendre, pour s’enrichir plus tard, pour être « utile à la société ». Depuis un quart de siècle, j’observe ce peuple construire son avenir sans jamais fléchir. Aujourd’hui, les Occidentaux n’adoptent presque plus au Vietnam car ce sont les Vietnamiens eux-mêmes qui le font. C’est tellement mieux. 

En fin de compte, le Vietnam, ce sont cette multitude de visages de tous les âges, de toutes les ethnies, de tous les milieux, qui nous regardent, tantôt rigolards, tantôt solennels, parfois en colère, à cœur ouvert. Ces visages sont les vrais paysages du pays, ils donnent une âme à la géographie. Les ponts délirants de Danang, les tombeaux des empereurs, les villages flottants, la baie d’Halong, les étranges dédales de Ninh Binh, tout cela n’a tant de sens que par la présence de ces regards intensément beaux et émouvants. On pourra même se dire que beaucoup de ces visages sont des paysages à eux tout seuls.

J’ai opté pour traiter cette série de photos à la manière d’aquarelles aux traits renforcés sur un papier tramé. Ce procédé a une fonction à laquelle je tiens beaucoup, il permet de transformer l’anecdote en symbole, de s’éloigner de la réalité de l’instant pour immobiliser le temps. Le référentiel se fait récit. Le choix d’un aspect d’aquarelle nous éloigne de l’abstrait. Chaque portrait est repris et traité de manière à exprimer ce que je ressens en le voyant, mélange de souvenir et de contemplation.

Ces photos ont été prises sur 25 ans dans presque toutes les régions du Vietnam, du Nord au Sud et je tiens à n’indiquer ni où ni quand elles ont été prises car elles ne représentent ni un lieu ni une époque, mais l’âme du pays telle que je la vois et la ressens. C’est à ce titre qu’elles constitue un tout unifié par sa diversité, une entropie d’expérience et d’empathie.

Il existe, dans plusieurs grandes villes du Sud, de fascinants magasins d’objets d’art et d’artisanat. Ils sont immenses, agencés comme de grandes villas coloniales, sur plusieurs niveaux, avec des cours, des jardins, des ateliers de broderie. On s’y perd, tout se mélange, tout est à regarder, mais aussi à vendre. Une atmosphère de bruits d’eau, de chants d’oiseaux, de musique lointaine, habite la pénombre fraîche de ces lieux où l’on se perd. J’aime l’idée qu’on se promène dans ces images comme dans ces magasins.

Certains tirages sont des recadrages de vieilles photos argentiques développée en 1995-96 à Hanoï, autant dire que le piqué n’est pas toujours au rendez-vous. Qu’à cela ne tienne, les livres ne manquent pas qui montrent le pays à grands renforts de photos ultra léchées. L’aquarelle confère légèreté et sentiment à ce qu’elle représente tout en se libérant du temps. Un quart de siècle de portraits échappent à la chronologie pour se fondre en un portrait unique fait de centaines de regards qui m’ont tous frappé, ému, amusé, surpris. Même de dos, ils vous regardent.

THE FACES OF VIETNAM

Voici le film de ces portraits réalisés depuis ving-cinq ans :

Pour en savoir plus :

MON VIETNAM

VIETNAM 2018

Mon Vietnam

Voici les récits et les images d’un Vietnam qui a disparu depuis longtemps. Un Vietnam qui s’éveillait au monde après des décennies de guerres et de dictature.

Deux fois de suite, je suis allé dans ce pays dont je suis tombé profondément amoureux. Puis j’y suis encore retrourné, non plus pour adopter, mais juste pour mieux connaître le pays et y rencontrer les mais que je m’y suis faits.

Chacun des voyages donne lieu à un récit.

HANOÏ

Il s’agit de la reprise du journal que j’avais écrit en 1996-97 au fil des événements.

C’est le texte brut, sans retouches ni corrections, de tout ce qui se passa pendant les longues semaines où, d’un côté je devais lutter contre l’administration vietnamienne de l’époque, aux tentacules un peu gluants, de l’autre je découvrais ma fille, les Vietnamiens et le Vietnam et en devenais amoureux pour le reste de ma vie.

Désormais, on peut aussi lire le récit illustré de l’adoption de notre première fille dans un livre souvenir, un quart de siècle plus tard :

Voici quelques images de cette époque où, en 1995-96, Hanoï était encore un gros village qui découvrait le monde, plein de sourires, de courage et d’espoir :

On peut trouver ce récit sur Amazon:

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ROUGE AVEC UN TOIT OUVRANT

C’est l’histoire d’une adoption. « Rouge avec un Toit Ouvrant », c’était ma réponse à la question malveillante et réitérée d’une psychologue de l’adminsitration qui ceherchait à nous dissuader d’adopter, « à quoi doit resembler l’enfant que vous voulez adopter.

Il était claire que cela ne s’annonçait pas bien. Mais c’était sans compter avec notre obstination.

C’est aussi l’histoire de notre contact avec le Vietnam de 1995, un pays dont on n’avait qu’une vague idée à travers des films tous tournés en Thailande. Un Vietnam qui était en train de s’éveiller après vingt ans d’un régime qui en avait fait le pays le plus pauvre du monde avec le Bangladesh.

C’est encore la découverte de nouveaux amis merveilleux, tant vietnamiens, dont certains sont encore nos amis vingt cinq ans plus tard, que les aventuriers qui prospéraient dans le pays en exploitant ses ressources et sa nouvelle économie, qui essayaient d’aider les enfants de Hanoï aussi. 

Écrit un quart de siècle plus tard, cette chronique se joue de la mémoire, met en lumière des moments clés et procède comme un film que l’on aurait monté en choisisssant les scènes qui comptent.

C’est aussi la découverte de deux petites filles, Hoa et Hao, qui deviendront Émilie et Margaux.

On peut trouver cet ouvrage sur Amazon :

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LE REGARD D’UN VIETNAMIEN SUR LE VIETNAM

Ta Ngoc Anh est un gentil monsieur qui vit paisiblement sa retraite en parcourant le pays, en solitaire, avec son Nikon. Il est le mari de Mai Nhu, notre chère amie qui nous a tant aidés quand nous sommes venus pour adopter nos filles en 1995 et 1996. Mais il ne se montre que rarement et demeure toujours silencieux. Il ne s’exprime qu’avec ses photos …

Il voyage sans cesse à travers le pays pour en saisir à la fois la beauté et l’étrangeté des coutumes et des paysages.

Lors de mon arrivée à Hanoï en 2008, mes amis m’ont aussitôt emmené au vernissage de l’exposition des photographes vietnamiens où il figurait en bonne place. Comme j’avais retouché sans le savoir la photo du président de cette association en train de parler avec des enfants, je fus traité comme un invité d’honneur, malgré mon « jetlag » qui pesait un peu sur ma conscience.

J’ai conservé quelques unes des photos de Ta Ngoc Anh, mais l’essentiel de ses photos sont sur des DVD et un disque dur qui a cessé de respirer il y a des années. L’obsolescence programmée ou pas, a de triste conséquences sur la mémoire.

Voici quelques unes de ses photos qui sont le témoignage d’un Vietnam qui, peu à peu, s’évanouit dans le passé :

J’avais aussi préparé un petit film qui contenait beaucoup plus de ses images. Les effets sont un peu trop appuyés, hélas …

Pour en savoir plus sur Mon Vietnam :

PORTRAITS DE MON VIETNAM

VIETNAM 2018

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1991 – 2024 : LA MÉTAMORPHOSE

Voici deux films sur le voyage en train de Hanoi à Saïgon, le premier en 1991, le second, aujourd’hui …

On y voit, comme je l’ai vue, l’extraordinaire transformation de ce pays

1991

2024

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VIETNAM 2003

En 2003, mon neveu se maria avec la fille de la directrice de l’orphelinat où j’avais adopté mes filles. Par ce geste, ma vie française s’imprégnait bien plus que je ne l’avais imaginé du Vietnam. J’étais donc retourné çà Hanoï avec mes deux filles, sept ans après que j’avais quitté ce pays.

Déjà, entre 1995 et 1996, le pays avait changé. Les motos avaient remplacé les bicyclettes et les scènes de rues de 1995 appartenaient au passé. Plus de slogans diffusés à longueur de journée par des haut-parleurs disséminés dans la ville, plus de troupeaux passant furtivement vers les marchés au petit matin.

En 2003, tout avait encore changé, mais Hanoï demeurait encore un gros village où s’activaient mille petits métiers dans un apparent désordre. Le film que j’y tournai représente une sorte de témoignage d’un temps révolu. Le Hanoï d’aujourd’hui est une cité près de dix fois plus grande que celle que j’ai connu et dont je suis tombé amoureux.

En 2003, aucun gratte-ciel ne se dressait dans les cités du Vietnam. Les créations délirantes de Bana Hills ou de Sapa ou Danang n’avaient pas encore vu le jour. Cat Ba n’était accessible que par une voie de pierres éboulées. La baie d’Halong était encore presque intacte, vierge des hôtels de luxe bordant la côte et des navires ultramodernes qui la sillonnent aujourd’hui.

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